J-2 avant l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Un scrutin que l’opposition promet d’empêcher pour faire barrage à la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Depuis le mois d’août, le climat s’est considérablement tendu. Des violences politiques ont fait plus d’une trentaine de morts en trois mois. Le président sortant a rassemblé contre lui toute l’opposition. Et les médiations n’ont pour l’instant rien donné. Dans ce contexte, si plusieurs familles ont fait le choix de ne pas se rendre aux urnes, soit par boycott, soit par crainte de représailles, d’autres iront bel et bien voter pour leur candidat.
Par Maurice Duteil
Installés devant leur télévision allumée, dans un immeuble de la commune de Yopougon, ce couple – elle est agente administrative, et lui enseignant – est bien décidé à aller voter ce samedi 31 octobre. Par devoir citoyen, insistent-ils. Les mariés espèrent juste que les militants et sympathisants des partis d’opposition ne leur feront pas barrage. « Là où je vote, ce sont les pro-Gbagbo. C’est dans leur fief, en quelque sorte. Mais j’espère que tout va se dérouler à la perfection », explique-t-elle. Son mari complète : « Quand tu dis boycott actif, ça veut dire tu restes chez toi, tu ne votes pas. Mais il ne faut pas empêcher les citoyens qui veulent voter, d’aller voter. Là, ça rentre dans un autre cadre… »
Les époux regrettent que cette élection, qui devrait marquer la première alternance démocratique et surtout pacifique du pays, réveillent les vieux démons auxquels les Ivoiriens sont tristement habitués. Mais le boycott des candidats de l’opposition leur importe peu : « Il y a des candidats qui se sont retirés. On a décidé d’aller à la réconciliation, donc on va jusqu’au bout. » « Dans une élection, même si tu luttes, il y a la majorité. C’est dans les urnes que le peuple décide. Si l’opposition sent qu’il y a une majorité, elle doit aller aux élections pour avoir la décision du peuple. Pour moi, c’est ça, la démocratie. »
Les mariés ont tout de même stocké quelques provisions, un réflexe né des crises passées. Mais ils restent confiants quant à la tenue d’un scrutin apaisé.
Mais certaines familles ont décidé de suivre le mot d’ordre de l’opposition et de ne pas se rendre aux urnes ce samedi 31 octobre. Dans une allée bruissante des affairages quotidiens, comme il en existe mille dans ce quartier populaire de Port-Bouët, résident Francis et son épouse. Derrière une porte en fonte : une cour carrelée abritée par un toit de taule et un puit autour duquel tournoient leurs sept petits-enfants.
Le patriarche sexagénaire attrape une chaise en plastique et explique pourquoi il refuse de participer à ce qu’il considère comme une mascarade électorale. « Je pense que c’est une élection qui est gagnée d’avance, on nous annonce déjà un coup KO », dont il fait porter la responsabilité à Alassane Ouattara. « Je suis abattu. »
Indigné par le choix du Conseil constitutionnel, qui a invalidé plusieurs candidatures, il dit vouloir suivre l’appel au boycott de l’opposition. « Le candidat qui pouvait libérer ma nation n’a pas été retenu. C’est pour cela que je ne voterai pas. » Il refuse toutefois de perturber la journée de vote et incite ses proches à faire de même. « Quand on ne veut pas voter, ce n’est pas la peine de sortir pour aller faire des histoires, se venger. Tout cela, ce n’est pas la peine. Il faut rester chez soi, c’est mieux. »
En tant que père de famille, l’homme aux yeux vert jade partage l’inquiétude de son épouse qu’il invite à venir le rejoindre, sans oublier de célébrer leurs trente ans de mariage. À la veille du scrutin, elle a peur pour sa famille : « Il y a trop de tensions. On murmure beaucoup qu’il y aura des problèmes. On ne sait pas comment ça va se passer, c’est ce qui me fait peur. »
Moins intéressée par les bisbilles politiques, cette mère de famille est plutôt révoltée par le fait que ses trois derniers enfants, tous bacheliers, ne parviennent pas à trouver de travail. Elle aussi, elle refusera de participer à ce scrutin.
Comment expliquer ces positions si dichotomiques ? Cette étrange campagne commence véritablement le 6 août, quand Alassane Ouattara annonce qu’il brigue un troisième mandat. Une annonce qui suscite immédiatement une levée de boucliers de l’opposition. Les premières manifestations sporadiques éclatent, souvent émaillées de violences meurtrières. L’opposition élève la voix mais dépose des candidatures à la CEI.
Deuxième étape, le 14 septembre. Le Conseil constitutionnel retoque 40 candidatures sur 44, dont celles de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro. Il ne retient que celle du président candidat, d’Henri Konan Bédié, de Pascal Affi N’Guessan et de Kouadio Konan Bertin.
Le climat se tend davantage. Cette fois, les partis d’opposition se fédèrent, que leur candidat ait été retenu ou non. Ils appellent à la désobéissance civile contre la candidature Ouattara, contre le Conseil constitutionnel et la Commission électorale. L’appel ne prend pas immédiatement dans la rue. En face, le candidat RHDP fait la sourde oreille et bat campagne, inonde les rues d’affiches, multiplie les déplacements. Pour clarifier sa stratégie, l’opposition lance un appel au « boycott actif » du processus électoral, relançant ainsi la contestation dans la rue. Les barrages se multiplient. Les violences s’aggravent. Des violences politiques qui prennent souvent un tour communautaire comme à Dabou où 16 personnes ont été tuées.
« Il n’y aura pas d’élection le 31 octobre », martèle l’opposition qui exige une transition. Ni report ni transition, rétorque le président ivoirien qui affirme que, quoi qu’il arrive, le scrutin se tiendra à la date prévue. Les médiations internationales échouent. À 48 heures du scrutin, les positions sont figées.