Agbogbloshie, l’une des plus grandes décharges au monde, soulève de nombreuses questions. Le pays est particulièrement concerné par le problème des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).
Par Maurice Duteil
La convention de Bâle interdit, depuis son entrée en vigueur en 1992, l’exportation de déchets dangereux d’un pays vers un autre, sauf si ceux-ci peuvent être réutilisés ou réparés. Pourtant, nombre de pays européens continuent d’exporter principalement vers l’Afrique et aussi l’Asie. Pour contourner cette législation et éviter ainsi le coût de la dépollution, les pays exportateurs présentent une grande partie de leurs équipements défectueux comme des appareils d’occasion. Au Ghana, le marché du recyclage en perpétuelle évolution depuis 20 ans a amené le gouvernement à essayer de trouver des solutions pour faire face à l’ampleur de ce défi économique et environnemental. Agbogbloshie en est la meilleure illustration.
Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, plus de 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont produites chaque année dans le monde. La consommation exponentielle des appareils liés aux nouvelles technologies à l’obsolescence programmée contribuent largement à leur augmentation. En Europe, seul un quart des neuf millions de tonnes produites chaque année, dont presque deux en France, est collecté et correctement recyclé. 80% des DEEE sont envoyés illégalement dans des pays en développement, dont bon nombre en Afrique, selon la Banque mondiale.
L’une des raisons avancées pour justifier une telle attitude est que ces produits permettraient d’alimenter le marché de l’occasion très important sur le continent Africain, où nombre de personnes n’ont pas les moyens financiers de se procurer du matériel neuf. Mais la principale raison reste que le recyclage est trop coûteux et dangereux au regard des normes environnementales des pays industrialisés.
L’Afrique doit déjà faire face aux problèmes de ses propres déchets et de leur recyclage. « Le pays devrait produire trois fois plus de déchets à l’horizon 2050. (…) L’Afrique subsaharienne a généré 174 millions de tonnes de déchets en 2016, avec 0,46 kilogramme par habitant et par jour. (…) 69% des déchets sont déversés à ciel ouvert et souvent brûlés. 24% des déchets sont éliminés sous une forme quelconque et environ 7% d’entre eux sont recyclés ou récupérés », précise le rapport de la Banque mondiale.
Le Ghana fait partie des pays où l’arrivée sur son sol d’appareils usagés venus d’autres continents accentue grandement le problème des DEEE. Sur les milliers d’ordinateurs récupérés, seuls 10% à 20% retrouveront un second souffle. Le reste finira à la décharge. Certains observateurs estiment que le marché informel du traitement des déchets est tenu par des mafias locales. ‘’Déchets électroniques, le grand détournement’’.
A l’exception de certaines sociétés qui prennent en charge la gestion de leurs déchets et recyclent la moitié de leurs appareils, le principal souci vient du parc informatique d’entreprises qui négocient avec les fabricants la récupération de leurs machines obsolètes en échange de nouveaux modèles. Les organismes publics et les entreprises sont pour la plupart peu regardants sur le devenir de leurs déchets.
80% des produits électroniques envoyés au Ghana sont normalement du matériel destiné aux marchés de l’occasion, mais les importateurs mélangent produits réparables et hors d’usage, pour obtenir des prix avantageux. Certaines parties de ces milliers d’objets technos abîmées ou cassées se retrouvent dans des décharges à ciel ouverts pour être démontées et brûlées. Le Ghana est l’un des pays où le marché du traitement des déchets est devenu une priorité pour le gouvernement. Au Ghana 170000 tonnes de déchets d’objets électroniques sont générées chaque année. De 40 000 à 50 000 tonnes sont déversées sur près de 10 km, à Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra, la capitale du Ghana.
Des milliers d’adultes, mais aussi d’enfants et d’adolescents, désossent et brûlent en plein air ordinateurs, télévisions, téléphones, appareils ménagers… 1 500 entrepreneurs indépendants issus du secteur informel y assurent la collecte de 30 000 tonnes tous déchets confondus par mois. 5 000 ferrailleurs se chargent de leur démantèlement. Tous veulent récupérer le cuivre présent dans ces appareils pour le revendre
Ces travailleurs sont réunis au sein l’Association of Scrap Dealers, qui bénéficie de la reconnaissance de l’Etat. Une demi-douzaine de PME formelles sont également actives dans le secteur, mais ces PME se concentrent sur les déchets électroniques produits par les entreprises locales, qui représentent seulement 20% de la quantité totale collectée à Accra. Leurs capacités de traitement et de recyclage des composants sont extrêmement faibles comparées aux flux annuels, explique le service économique d’Accra de l’ambassade de France au Ghana.
Les travailleurs de ce secteur font des journées de 12h, six fois par semaine. Des jeunes garçons, surnommés les « burner boys », brûlent le plastique des machines pour récupérer le cuivre des composants internes. Ils travaillent pour la plupart à mains nues ou équipés de simples barres de fer ou de marteaux. Sans réelle protection beaucoup souffrent de brûlures, de lésions oculaires, de problèmes respiratoires. Certains développent des cancers, raconte Muntaka Chasant, militant écologique et photographe sur son site.
Pour certains, le recyclage des déchets électroniques est une activité très rentable qui leur permet de sortir de la grande pauvreté. Mais les milliers de jeunes garçons utilisés dans le recyclage informel des déchets sont en grande majorité une main-d’œuvre bon marché et largement exploitée. Ils sont pour la plupart formés par les « maîtres » brûleurs, des garçons plus âgés ou de jeunes adultes dont beaucoup ne savent ni lire, ni écrire. Si certains brûleurs gagnants plus que les titulaires d’un baccalauréat, seuls les marchands de ferraille, leur clientèle et le gouvernement du Ghana en tirent de véritables bénéfices.
L’autre problème que pose ce travail informel pratiqué en plein air sans réels contrôles provient des substances présentes dans ces déchets (aluminium, plomb, cadmium, mercure…) qui sont libérées dans l’écosystème et polluent les sols et l’air. Des prélèvements parlent de niveaux de métaux 100 fois supérieurs aux seuils autorisés, indique le média en ligne Brut. Le gouvernement essaye de faire évoluer cette situation et de trouver des solutions. En 2016, le Ghana s’est doté d’un cadre légal inspiré du modèle de traitement des déchets appliqué en Europe. Des usines de recyclage sont en projet ou en cours de réalisation. Des points de collecte publics pour les déchets électroniques ont été installés et une écotaxe sur des produits électriques et électroniques importés a été créée.
Mais il reste très difficile de changer cette situation. « Malgré le chaos apparent, la décharge d’Agbogbloshie est réglée comme une horloge suisse ». Chaque atelier a son fonctionnement propre, avec son chef et ses règles. Il est si difficile pour les autorités d’imposer un changement radical : la chaîne informelle de désassemblage des déchets électroniques fonctionne à merveille. Beaucoup de gens en vivent et en dépendent. Avec ses partenaires, le gouvernement ne peut que s’employer à informer, former et sensibiliser. Un travail de fond auquel doit répondre le gouvernement et apporter des solutions viables pour l’environnement et ceux qui y travaillent. Exploiter le potentiel d’Agbogbloshie peut être une véritable ressource économique fiable et apporter une reconnaissance grâce à l’expérience de ceux qu’elle emploie.
Ce combat sera de longue haleine : on sait, selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, que la valeur estimée dans le monde des matériaux récupérables dans les déchets électroniques se chiffre à 62 milliards de dollars chaque année, plus que le PIB du Ghana en 2019, ajoute Muntaka Chasant.