L’Ombre : Que dites-vous au sujet des revendications des populations gabonaises qui manifestent leur ras-le-bol au sujet de la question de la desserte d’eau et de l’électricité. Pensez-vous que leurs revendications sont fondées ?
Jean-Luc Touly : Bien entendu. Comme j’ai eu à le dénoncer pour le cas de la France, partout où Veolia opère, cette entreprise n’a jamais été un modèle de gestion sur la question de l’eau encore moins de l’électricité pour prendre le cas du Gabon.
L’Ombre : Sur quoi porte exactement ce que vous pourrez reprocher à Veolia dans sa gestion ?
Jean-Luc Touly : Au regard des données en présence, de prime à bord, je suis d’avis qu’il s’agisse de l’eau ou de l’électricité, cela pourrait coûter moins cher qu’elles ne le sont actuellement au vu des efforts et l’assiette de l’investissement de l’Etat.
L’Ombre : Que pensez-vous exactement sur les volets tarification et capacité de desserte de Veolia au Gabon?
Jean-Luc Touly : « En matière de tarification, un déséquilibre a été constaté entre la volonté des baisses tarifaires constatée au début de la Convention par rapport aux augmentations successives qui sont intervenues entretemps au cours de deux décennies qu’a duré la concession. Les choses pouvaient se passer de façon indolore pour les populations. Sur la question de la desserte, quand l’on considère l’engagement de desservir des nouvelles localités pris en début de concession qui se présentait en termes de 30 dans le domaine de l’eau et 21 dans le domaine de l’électricité, seulement 13 et 8 ont étaient desservis respectivement en eau et en électricité. C’est une moisson bien maigre. Et en plus, quand je considère qu’une bonne partie de ces localités desservies l’ont été par l’Etat, il y a lieu de croire que Veolia a plus maximisé ses profits sur le dos de la souffrance des Gabonais.
L’Ombre : « Quid du volet qualité technique des ouvrages réalisés par Veolia ? ».
Jean-Luc Touly : Au regard de mon expérience à travers de nombreux pays sous-développés où la Fondation Danielle Mitterand est engagée pour l’accès à l’eau et à l’électricité, pour le cas du Gabon, l’on note le non-respect du programme de renouvellement, le non-respect des normes et des règles de l’art dans la construction des ouvrages. On peut noter des défaillances suivantes de la part de Veolia. En matière d’électricité : un taux important et inacceptable des postes en contrainte à Libreville et en province ; de nombreuses zones en contrainte de tension ; l’absence de maintenance dans les centrales ; le matériel vétuste et obsolète utilisé, etc. En matière d’eau, la présence importante de fuites sur le réseau ; de nombreuses zones ayant des baisses de pression ; le niveau de service inacceptable en termes de continuité et qualité.
L’Ombre : Que dites-vous en ce qui concerne des pratiques de Veolia sur les questions liées au respect du code environnemental pendant tous les vingt ans qu’a duré la concession avec l’Etat gabonais. Veolia laisserait-elle de telles pratiques se faire en France ou ailleurs en Occident ?
Jean-Luc Touly : Franchement parlant, au vu des images que j’ai examinées sur l’ensemble du territoire gabonais, l’on note des cas de pollutions sauvages et c’est un scandale. Le non respect de la réglementation en matière de gestion des déchets des hydrocarbures et le respect de la réglementation des déchets sur les sites où l’on observe des déversements des huiles dans la nature sont évidents. Comment face à un tel scandale, le gouvernement gabonais n’a-t-il pas pu être alerté ?
L’Ombre : L’impact négatif de telles pratiques sur la santé des populations étant presque évident, serait-on en droit d’ester en justice contre Veolia pour pratiques dangereuses ?
Jean-Luc Touly : Bien entendu, c’est le droit le plus absolu des pouvoirs publics, des associations des consommateurs ou même des ONG engagées en matière de protection de l’environnement.
Voilà ainsi résumé de façon lapidaire l’entretien plus qu’édifiant de la part Jean-Luc Touly qui a consacré sa vie à dénoncer les dérives des concessionnaires et de marché privé du genre de Veolia dans la gestion de l’eau au profit d’un retour à la gestion publique.
Un motif de plus pour l’Etat pour poursuivre cette bataille au profit des populations qui n’ont que trop souffert. De ce point de vue, ce ne sont donc ni les cancans du Veolia encore moins la volonté de nuire aux relents d’un chantage que pourraient nourrir les patrons du CAC 40 qui feront reculer les pouvoirs publics gabonais. Ça promet d’être chaud devant !
Par Jean-Baptiste Poquelin