Inciter le chef de l’Etat à réattribuer au ministère du Budget certaines des prérogatives perdues il y a quelques mois à la faveur du renouvellement d’équipe au sein de la présidence gabonaise. Telle est la mission que se sont assignés certains faux collaborateurs d’Ali Bongo Ondimba qui guettent le moindre faux pas du nouveau « DC ». Auteurs d’une « fake news », ils auront attendus pendant longtemps pour reconquérir, et vite, ne fut-ce qu’une partie au moins des anciennes prérogatives.
Ils sont collaborateurs du Président de la République et veulent voir le pays retomber dans les affres du passé. Les arguments pour rebondir et repartir à l’offensive ne manquent pas. Ils se sont mis les pieds dans le tapis. Au moment où le Gabon est l’un des premiers pays à élaborer un Plan de Relance de l’Economie (PRE) et à avoir conclu avec le FMI un accord triennal (2017-2019) au titre du Mécanisme Elargi de Crédit (MEDC) et soutenu par d’autres partenaires financiers internationaux, ils choisissent de créer une confusion par une rumeur selon laquelle le FMI menacerait de retirer le soutien qu’il a accordé au Gabon au motif de la mise en place du Club de Libreville. Un mécanisme justement façonné et piloté par… Brice Laccruche Alihanga.
La rumeur parle d’une prétendue menace de retrait du soutien accordé par le FMI au Gabon en juin 2017 (en l’occurrence, un prêt de 642 millions de dollars) au motif que celui-ci verrait d’un mauvais œil la mise en place du mécanisme du Club de Libreville. Un dispositif instauré en février 2018 pour permettre à l’Etat d’apurer sa dette vis-à-vis des entreprises locales. La rumeur a semblé d’emblée peu crédible. Ce qui a poussé les autorités à démentir au plus vite. C’est chose faite le jour même par voie de communiqué signé du ministre de l’Economie, Régis Immongault. A Libreville, dans les cercles de pouvoir, l’identité du commanditaire de cette fake news ne fait aucun doute. Le ministère du Budget a été pointé du doigt. Mais quel intérêt aurait donc bien pu avoir ce dernier à agir de la sorte ? Une question qui mérite une réponse.
Dans l’esprit des inspirateurs, il s’agit d’un fait qui devrait permettre de montrer à l’opinion – et, par contrecoup, au Président Bongo – des limites de son nouveau directeur de cabinet pourtant, ex-senior manager et commissaire aux comptes au sein du cabinet Price Waterhouse Coopers dans la gestion des dossiers financiers. Alors que la mise en œuvre du PRE soutenu par cet accord conjuguée aux efforts de diversification de l’économie entrepris au cours des dernières années ont permis d’enrayer la trajectoire négative et stabiliser le cadre macro-budgétaire. Ainsi, à fin 2017, l’économie gabonaise a pu éviter une récession avec une croissance économique qui est restée positive à 0,7% ; un taux d’endettement limité à 59% du PIB et une reconstitution des réserves de change. Cet effort d’ajustement et de redressement économique s’est traduit par une première revue concluante du programme avec le FMI à fin décembre 2017.
L’enjeu – financier et d’influence – est trop important pour ne pas livrer la bataille. Et l’idée d’être ainsi écartés de la mangeoire et à de grandes décisions dont les résultats sont aujourd’hui visibles, sensibles, tangibles pour la population leur est insupportable, en particulier pour celui qui s’accroche au Gabon comme une moule à son rocher. Requinqué sur le plan de sa santé, il s’est fait attribuer un titre officiel. Mais « BLA », comme le surnomment ses proches, souhaite aller vite, à tous les niveaux. Une fois nommé « Dir cab », Il a réussi aussitôt à couper court le système mis en place à l’époque au sein des directions budgétaires et financières de l’Etat. La méthode est à la fois rapide et radicale. Par décret en conseil des ministres du 28 septembre 2017, Fabrice Andjoua Bongo Ondimba, le jeune frère du président, réputé pour sa connaissance des rouages au ministère du budget où il évolue depuis longtemps en tant que Directeur adjoint du Budget, est nommé à la tête de la DGBFIP. Une nomination qui a énormément servi à casser les rouages fortement établis.
Brice Laccruche Alihanga est le principal collaborateur d’Ali Bongo. Jeune – il a 38 ans – et proche de la population, l’homme est mû par des intentions différentes de celles de ses prédécesseurs. Il a également la conviction que l’époque a changé et que les pratiques, y compris dans l’entourage du président, doivent également évoluer. Il a mis fin à la super direction du Budget qui regroupait quatre anciennes directions générales, dont la Direction générale du Budget, la Direction générale des Marchés publics, la Direction de l’Exécution budgétaire et la Direction générale du contrôle financier.
Un mécano institutionnel qui a permis aux faux « amis » d’Ali Bongo de contrôler la totalité de la chaîne budgétaire depuis l’inscription et l’élaboration du budget jusqu’à son exécution, en passant par le contrôle financier et l’attribution des marchés publics. L’intérêt de ce dispositif était manifeste : c’est le même organe qui validait la candidature d’une entreprise à un marché public – après que celle-ci ait été invitée à surfacturer ses prestations –, qui validait son attribution, ordonnait le paiement et procédait à son exécution via les services du Trésor. Pas de double visa ou même de double regard; aucun contre-pouvoir. La super direction, qui était à la fois ordonnateur et comptable, décidait de tout. Une fois le parcours réalisé, l’entreprise bénéficiaire du marché public était invitée à reverser la part de montant surfacturé, soit en cash soit par virement sur un compte à l’étranger
Tout comme on peut le constater les sommes en jeu sont impressionnantes. Un média proche de l’opposition a évalué à 7.000 000 000 000 (sept mille milliards) de FCFA le montant d’argent public qui aurait été détourné du budget de l’Etat entre 2009 et 2016. « C’est une question d’influence mais aussi d’intérêts financiers, l’un allant avec l’autre », glisse un ex-ministre qui a changé de côté.