Le réseau de fondations du financier George Soros débloque 15 millions de dollars pour soutenir des associations, créer des partenariats et former des experts africains.
Par David B. Hauce
Accélérer le cours de l’histoire en créant rapidement les conditions de la restitution des œuvres d’art à l’Afrique. Un an après la remise au président français du rapport de l’économiste Felwine Sarr et de l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, et deux ans après le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou qui avait ouvert ce débat, les fondations Open Society débloquent 15 millions de dollars (13,6 millions d’euros) pour transformer l’annonce du chef de l’Etat en réalité.
Ces derniers mois, en effet, le chantier n’a pas vraiment avancé. Après les levées de boucliers médiatiques qui ont suivi l’annonce présidentielle du 28 novembre 2017 au Burkina Faso puis la décision, un an après, de rendre sans délai 26 œuvres au Bénin, le sujet est repassé au point mort. On l’aurait même pensé endormi si, dimanche 17 novembre, le premier ministre Edouard Philippe n’avait prêté pour cinq ans un sabre au Musée des civilisations noires de Dakar. Ce geste éminemment politique vient prouver que le sujet n’est pas enterré, certes, mais il montre aussi que le cœur du dossier de la restitution, lui, n’avance pas, puisque le sabre est « prêté » et non rendu.
Finalement, plutôt que faire émerger des solutions, cette année de latence semble avoir permis à une petite musique anti-restitution de monter tranquillement. Felwine Sarr avait pointé dès l’écriture de son rapport le point sur lequel il s’attendait à être confronté. Il se doutait qu’on opposerait « l’absence en Afrique de musées aux standards européens et aussi de compétences suffisantes, pour conclure que le patrimoine sera en péril sur ce continent ». La sortie récente de l’essai Faut-il rendre des œuvres d’art à l’Afrique ? (Gallimard), de l’avocat et écrivain Emmanuel Pierrat, lui donne raison. L’essayiste y exprime clairement ses craintes sur la capacité de l’Afrique à recevoir et conserver ces biens précieux, comme d’autres voix qui montent aujourd’hui sur ce dossier.
D’où l’angle d’attaque de l’Open Society, qui a annoncé, lors du Forum de la paix à Paris, son « initiative pour appuyer les réseaux et les organisations qui s’efforcent de rendre à l’Afrique le patrimoine qui est le sien et lui revient de droit », comme l’a précisé son directeur, Patrick Gaspard. Cet ancien ambassadeur des Etats-Unis en Afrique du Sud est un convaincu de la première heure de l’impact très fort du geste promis par la France dans le discours de Ouagadougou. Son organisation a applaudi à la volonté d’Emmanuel Macron que « d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Dès ce moment, l’Open Society a tendu l’oreille, se réjouissant que d’autres pays d’Europe (Belgique, Allemagne) embrayent. Très vite, ce réseau de fondations, créé par le financier et philanthrope américain George Soros, qui distribue plus d’un milliard de dollars chaque année aux ONG et militants des droits de l’homme au niveau mondial, a voulu apporter sa pierre. D’autant que Felwine Sarr est président du conseil consultatif de l’Open Society Initiative for West Africa. « Nous considérons que l’héritage de la violence coloniale entraîne de profondes répercussions sur la façon dont le racisme et les déséquilibres de pouvoir se perpétuent aujourd’hui », explique M. Gaspard.
Il perçoit ces retours d’œuvres d’art non comme une simple restitution d’objets à déposer dans des vitrines, mais comme « un moyen de restaurer l’essence même de ces cultures ». « Les Africains doivent pouvoir présenter leur passé à leur public, car ces œuvres ont une puissance artistique, certes, mais ont aussi une charge spirituelle importante. Or, en privant les sociétés de ces objets essentiels, on les a privées d’une part d’elles-mêmes et on les empêche de se construire », rappelle l’ancien diplomate.
Estimant que la déconstruction des préjugés est une étape essentielle et qu’une formation est nécessaire pour rassurer les sociétés occidentales, l’Open Society a décidé d’aider à la préparation du terrain. Les 13,6 millions d’euros serviront à soutenir des associations, créer des partenariats et des coopérations, développer l’expertise des archivistes et directeurs de musées africains sur la question des restitutions. Il permettra aussi la formation d’experts et de chercheurs africains, de figures culturelles et artistiques, de leaders religieux et de responsables politiques.
Ce credo sur la construction d’une Afrique fière d’elle-même et rentrée en possession de son histoire, l’Open Society l’a déjà expérimenté avec une communauté plus étroite, les Roms. En 2017, elle a œuvré à la constitution, à Berlin, de l’Institut européen des Roms pour l’art et la culture, avec l’idée qu’il était temps que les Roms puissent parler d’eux-mêmes et raconter leur histoire dans un lieu dévolu, parce qu’une société se construit en regardant ses racines et en communiquant dessus.
En ce qui concerne l’Afrique, cette initiative est financée pour quatre ans, le temps que soit élaborée en France la loi nécessaire pour que les objets des collections nationales, frappés du sceau de « l’inaliénabilité » et de « l’imprescriptibilité », puissent être rendus. Une modification du code du patrimoine est pour cela nécessaire et ce changement doit passer par un vote parlementaire. Le président sénégalais, Macky Sall, a profité de la visite d’Edouard Philippe pour rappeler l’impatience des populations.
Quelque 90 000 œuvres et objets africains sont aujourd’hui en France, dont 46 000 seraient entrés sur le territoire entre 1885 et 1960, soit durant la période coloniale. Certains relèvent de la spoliation, d’autres d’expéditions scientifiques, mais, globalement, 90 % du patrimoine culturel de l’Afrique subsaharienne se trouve aujourd’hui dans des musées occidentaux, exposé ou rangé dans les réserves, principalement en France.