Le Japon a autorisé la création d’embryons hybrides homme-animal, rapporte un article du magazine scientifique américain « Nature ». Cette recherche pourrait déboucher sur de nouvelles banques d’organes. Mais les obstacles techniques et éthiques sont nombreux.
Par Maurice Duteil
C’est une première au Japon. Selon un article de la revue américaine Nature publié le 26 juillet, un scientifique va bénéficier d’un financement gouvernemental dans le cadre de ses recherches sur les embryons chimères humains-animaux. Traduction : il entend faire grandir des cellules souches humaines dans un embryon d’animal. Une recherche destinée à faire face à la pénurie mondiale de donneurs d’organes, mais qui présente de nombreux obstacles techniques et éthiques.
Hiromitsu Nakauchi, docteur spécialiste des cellules souches à l’Université de Tokyo et de Stanford, profite ici d’un assouplissement de la loi japonaise. Jusqu’en mars, l’archipel interdisait la création d’embryons d’animaux contenant des cellules humaines au-delà de 14 jours de développement in vitro. Le ministère de l’Education et de la Science a depuis publié de nouvelles directives, autorisant la création d’embryons chimères pouvant être menés à terme. Nakauchi projette donc aujourd’hui de cultiver des cellules humaines à l’intérieur d’embryons de souris et de rats. Avec pour objectif que cette manipulation permette de développer des organes animaux « humanisés » (le rein, le pancréas, le foie, etc), susceptibles de servir à une banque d’organes.
Le docteur Nakauchi assure vouloir se montrer prudent. Il envisage d’abord de cultiver des embryons de souris hybrides pendant 14,5 jours, au moment où les organes de l’animal sont presque terminés. Des expériences qu’il compte également mener chez le rat, pendant environ 15,5 jours. Et si ses premiers essais sont concluants, Nakauchi envisage de demander l’approbation du gouvernement nippon pour faire grandir des embryons hybrides, cette fois chez le porc, pendant 70 jours.
Mais ses expériences sont semées d’embûches. Les scientifiques craignent par exemple que les cellules humaines ne se contentent pas de rester dans l’organe ciblé, mais puissent migrer à travers le corps de l’animal jusqu’à son cerveau. Une conséquence imprévue, qui pourrait alors affecter sa cognition.
Pour limiter le risque, Nakauchi assure avoir trouvé la solution. Il envisage de créer un animal dépourvu des gènes nécessaires à l’assemblage d’un organe (mettons les reins). Celui-ci recevra ensuite des cellules souches pluripotentes (iPS), capables de s’adapter à sa création. Si tout se passe comme prévu, les cellules d’origine humaine resteraient alors confinées dans l’organe en question.
Nakauchi a déjà testé cette méthode. En 2010, aux Etats-Unis, il était parvenu à créer un pancréas de souris à l’aide de cellules iPS dans le corps d’un rat. L’organe produit était capable de contrôler le taux de sucre dans le sang et avait guéri du diabète la souris dans lequel il avait été transplanté. Sept ans plus tard, des scientifiques de l’Institut Salk d’études biologiques à La Jolla, en Californie, ont implanté des cellules souches humaines dans des embryons de cochon, ensuite transférés dans l’utérus de truies porteuses.
Deux succès vite oubliés : quand Nakauchi avait à son tour tenté l’expérience en 2018, cette fois dans l’université d’Austin, au Texas, celle-ci s’était soldée par un échec. L’introduction de cellules humaines dans des embryons de moutons avait donné, au bout de 28 jours, des organes non-viables. Dans le cas du porc comme dans celui du mouton, aucun des embryons issus du croisement des cellules humaines et animales n’avait été mené à son terme.
Ces expériences soulèvent en outre de brûlantes questions éthiques. Les bioéthiciens s’interrogent notamment sur le bien-être des animaux. Le 8 juillet, une tribune publiée dans Le Monde, signée par un collectif de scientifiques, mettait ainsi en garde contre la création d’embryons chimériques. Il y a deux ans, John de Vos, professeur du département d’ingénierie cellulaire et tissulaire au CHU de Montpellier, mettait lui en garde contre le danger de lier ainsi le patrimoine génétique de différentes espèces : « Certains organes ne doivent surtout pas être humanisés, comme le cerveau, les organes reproducteurs et tout ce qui est représentation de l’humain dans l’animal : la peau, les membres, les cordes vocales ». En France, la création d’embryons hybrides homme-animal est interdite depuis la loi bioéthique de 2011.