Vainqueur mal élu de la présidentielle contestée du 12 décembre en Algérie et considéré comme illégitime par le puissant mouvement de contestation, Abdelmadjid Tebboune est entré en fonction jeudi en prêtant serment lors d’une cérémonie solennelle à Alger.
Par Maurice Duteil
Main droite sur le Coran, M. Tebboune a prononcé la longue formule prévue par la Constitution, jurant notamment de »respecter et de glorifier la religion islamique, de défendre la Constitution, de veiller à la continuité de l’Etat », mais aussi »d’agir en vue de la consolidation du processus démocratique, de respecter le libre choix du peuple ».
Elu au 1er tour le 12 décembre2019, M. Tebboune, 74 ans, succède ainsi formellement à Abdelaziz Bouteflika, dont il fut le premier ministre, et qui a été contraint à la démission en avril par un mouvement populaire inédit de contestation du régime, le Hirak, dont l’Algérie est le théâtre depuis dix mois.
Auparavant le président du Conseil constitutionnel, Kamel Fenniche, a donné lecture de la proclamation des résultats définitifs consacrant l’élection de M. Tebboune avec 58,13 % des suffrages, devant un parterre de dignitaires, notamment un important carré de haut gradés, dont le général Ahmed Gaïd Salah, 79 ans. Le chef d’état-major de l’armée est depuis avril le visage du haut commandement militaire, qui a assumé ouvertement la réalité du pouvoir depuis la démission de M. Bouteflika.
Ces « élections qui ont eu lieu dans un climat calme et serein [vont] mener vers une Algérie nouvelle, comme l’a réclamé le peuple », a déclaré, avant que M. Tebboune prête serment, Abdelkader Bensalah, qui assurait l’intérim à la tête de l’Etat depuis le départ de M. Bouteflika, soit bien au-delà du délai maximal de trois mois prévu par la Constitution.
Boycotté par le Hirak, perturbé au point de ne pas pouvoir se dérouler dans la région frondeuse de Kabylie, le scrutin a connu la plus faible participation de toutes les présidentielles pluralistes en Algérie : 39,38 %, un chiffre remis en cause par la contestation et certains analystes, qui l’estiment encore plus faible en réalité.
Monsieur Tebboune est un ancien fidèle de M. Bouteflika, dont il fut longtemps ministre, puis éphémère premier ministre, avant d’être limogé au bout de trois mois et d’entrer en disgrâce. Mais pour le Hirak, ce fonctionnaire de carrière et authentique apparatchik reste un pur représentant du »système » à la tête du pays depuis son indépendance en 1962, »système » dont la rue veut se débarrasser.
Les 58,13 % de suffrages recueillis dès le 1er tour cachent mal le fait que M. Tebboune n’a été élu que par 20 % des inscrits. Il va devoir gérer une contestation inédite et toujours extrêmement massive au bout de dix mois, qui n’exige rien d’autre que le démantèlement total du « système » et le départ de tous ses représentants, des revendications catégoriquement rejetées jusque-là par le haut commandement militaire.
Dès l’annonce de sa victoire, M. Tebboune a dit »tendre la main au Hirak », l’invitant à un »dialogue » pour une »Algérie nouvelle » et promettant notamment une révision »profonde » de la Constitution pour donner naissance à une »nouvelle République ». Le Hirak, lui, a en masse opposé une fin de non-recevoir dans la rue quelques heures plus tard, affirmant considérer M. Tebboune »illégitime » et refuser que le »système » se charge de se réformer lui-même.
Monsieur Tebboune a également promis à la jeunesse – principale composante du Hirak, dans un pays où les moins de 30 ans représentent plus de 53 % de la population – un nouveau gouvernement comptant »dans ses rangs des ministres jeunes ne dépassant pas les 26 et 27 ans ».
S’il respecte la tradition, M. Tebboune devrait annoncer dans la journée le nom du premier ministre chargé de lui proposer un gouvernement : le passé et la personnalité de celui-ci sera scrutée à la loupe par le Hirak.