L’affaire des diamants de Bokassa, qui a contribué à sa défaite de 1981, est indissociable de l’image de Valéry Giscard d’Estaing, décédé à Paris le 2 décembre à l’âge de 94 ans. Dans un livre dont l’ancien président français avait à l’époque exigé l’interdiction, l’ancien « empereur » Jean Bedel Bokassa racontait, en 1985, sa part de vérité sur la relation entre les deux hommes.
Par Maurice Duteil
L’éclat des diamants de Bokassa aura à jamais terni l’image de l’ancien président français, décédé ce mercredi 2 décembre à l’âge de 94 ans. L’affaire, qui a éclaté un jour d’octobre 1979 par une manchette barrant en lettres rouges la une du Canard enchainé a sans aucun doute contribué, pour partie, à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing face à François Mitterrand à l’élection présidentielle de mai 1981. La détestation que lui vouait Jacques Chirac – ses militants appelaient les indécis à voter à gauche pour faire chuter le locataire de l’Élysée – aura fait le reste.
Si l’histoire des relations entre la France et l’Afrique sous la présidence de Giscard a été riche et complexe – de ses interventions militaire au Tchad et Mauritanie au parachutage de la Légion étrangère à Kolezi face aux rebelles Katangais qui espéraient renverser Mobutu–, l’affaire des diamants de Bokassa reste, et restera, indissociablement liée à l’ancien président français.
Valéry Giscard d’Estaing aura géré cette affaire de la pire des manières. À l’époque, les stratèges de la communication de crise n’avaient pas encore pris complètement l’ascendant sur les responsables politiques. Drapé dans un silence qui se voulait digne, le président français a mis du temps à répondre aux accusations.
À ses conseillers qui lui enjoignent alors de « parler aux Français » par le biais d’une émission télévisée, il répond, en substance, qu’un « président ne devrait pas s’abaisser à cela ». « Dites la vérité aux journalistes : que Bokassa m’a remis des cadeaux, comme il le faisait à tous ses visiteurs. Que je n’y ai pas attaché d’importance. Et que cela n’a pas pesé dans mes décisions. D’ailleurs, on l’a bien vu, puisque j’ai fait tomber Bokassa », rétorque-t-il à Pierre Hunt, alors porte-parole de la présidence, qui lui demandait quelle position adopter face aux révélations du Canard.
Il faudra attendre le 27 novembre 1979 – après sept longues semaines au cours desquelles la presse multiplie les unes sur le sujet –, pour que Valéry Giscard d’Estaing consente, enfin, à évoquer l’affaire. Mais ce sera sur un ton sec et cassant, et pour balayer d’un revers de manche « l’attaque et la calomnie ». Deux ans plus tard, sur les affiches électorales barrées du slogan « Il se bat pour la paix » ou « Il faut un président à la France », ses opposants prennent un malin plaisir à coller sur les yeux du candidat deux diamants étincelants.
Quatre ans après la cinglante défaite de l’ancien président français, et le célèbre « au revoir » suivi d’un plan fixe sur une chaise vide, Jean Bedel Bokassa, alors exilé en France dans son château d’Hardricourt, a publié aux éditions Michel Lafon Ma Vérité dont Jeune Afrique a conservé une copie dans ses archives. Deux cents pages pleines de rancœur dans lesquelles « Bokassa 1er » – dont le sacre avait, pour une large partie, été financé par l’argent venu de France –raconte sa relation avec Giscard. Le contenu est à l’image de son auteur, baroque. Et Giscard d’Estaing, qui a alors démarré sa carrière d’éternel « ex » de la politique française, obtient l’interdiction du livre et sa mise au pilori.
Jean Bedel Bokassa, qui assiste en personne à la destruction des 10 000 copies de son ouvrage le 27 juin 1985, signe ce jour-là une lettre ouverte dans laquelle il se dit « insulté, calomnié, ridiculisé depuis des années ». Surtout, il y accuse Giscard d’avoir commis un « acte de piraterie internationale » en envoyant le 20 septembre 1979 les commandos du 1er RPMa du colonel Briançon-Rouge prendre Bangui et déposer l’« Empereur », parti à Tripoli pour sceller son rapprochement avec Kadhafi.
Le temps de l’idylle entre les deux hommes semble bien loin. Cette relation d’amitié, faite de chasses aux éléphants et de cadeaux dispendieux, sur fond de barbouzeries françafricaines, Bokassa la retrace avec un style bien à lui dans ce livre à charge, et comportant des accusations dont certaines, portant sur des aspects de la vie privée de l’ancien président français, non étayées, ne sont évidemment pas reproduites dans les extraits ci-dessous.
« Ma première rencontre avec Giscard a eu lieu à Bangui en 1967, un an après mon arrivée au pouvoir. Giscard est venu faire une partie de chasse. Par politesse, il s’est fait signaler au chef d’État que j’étais. Sachant donc qu’un ministre français était présent à Bangui pour un safari-chasse et que ce ministre demandait une audience au chef de l’État, je l’ai reçu dans mon bureau. Par la suite, j’organisai un repas au grand hôtel international, l’Hôtel Safari, à Bangui. J’invitai les hommes d’affaires français et étrangers installés à Bangui et les ambassadeurs accrédités, à commencer par l’ambassadeur de France.
Un repas fut donc offert à Giscard ; il fut suivi par une remise de cadeaux. Ces cadeaux comprenaient un coussin rouge sur lequel étaient déposées des pierres précieuses dans leur écrin et des produits artisanaux achetés chez Perroni (Perroni est un Français installé à Bangui ; il réalise ces produits, de très haute qualité) ».