Profitant d’une révision de la Constitution, contestée par l’opposition, le chef de l’État sortant élu en 2010 et réélu en 2015 veut obtenir un nouveau mandat.
Par Maurice Duteil
C’est désormais officiel : le parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) a affirmé dans un communiqué lu à la télévision que le président sortant Alpha Condé briguerait bien un troisième mandat lors de la présidentielle prévue en octobre. La perspective de cette candidature a jeté dans la rue depuis un an toute une coalition d’opposants réunis sous la bannière du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), dont les manifestations ont souvent été réprimées avec violences. Il y aurait eu plusieurs dizaines de morts. Signe que la situation est vraiment volatile, contrairement à ses deux précédentes candidatures, Alpha Condé ne s’est lui-même pas encore prononcé officiellement.
Et poutan ce n’est pas faute d’avoir été ‘’sollicité’’ par son parti. À 82 ans, Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015, avait dit « prendre acte », sans formellement s’engager, mais en demandant à sa formation et à ses alliés de s’engager sur un programme centré sur les femmes, les jeunes et les plus démunis. « Si vous voulez que j’accepte votre proposition, il faut que vous vous engagiez à ce que le RPG redevienne ce qu’il était, un parti qui n’oublie personne », avait-il déclaré aux délégués de sa formation.
Les partis de la majorité ont soumis au président une « proposition de pacte » pour l’application de ce programme, a indiqué le RPG dans le même communiqué lu dans la soirée à la télévision nationale RTG. « Nous avons l’immense privilège et le bonheur d’informer la population guinéenne que celui-ci a accédé à notre demande. Le président Alpha Condé sera bien notre candidat à l’élection présidentielle du 18 octobre 2020 », indique ce communiqué lu par le directeur général de la RTG.
La Constitution guinéenne limite le nombre de mandats présidentiels à deux, mais l’adoption en début d’année d’une nouvelle loi fondamentale, qui maintient cette limitation, lors d’un référendum boycotté par l’opposition, permet à Alpha Condé de remettre les compteurs à zéro, affirmaient depuis des mois ses partisans.
Alpha Condé a, à de nombreuses reprises, critiqué cette limitation, la qualifiant d’injuste. Nous « avions invité le chef de l’État à briguer un nouveau mandat comme l’autorise la nouvelle Constitution », a affirmé lundi sans ambiguïté le RPG dans son texte.
Et pourtant, Alpha Condé, né le 4 mars 1938 à Boké – ancien opposant à tous les régimes, qui connut l’exil et la prison –, a été le premier président démocratiquement élu après des décennies de régimes autoritaires dans cette ancienne colonie française d’Afrique de l’Ouest où plus de la moitié de la population vit dans la pauvreté malgré la richesse de son sous-sol.
Il part en France dès l’âge de 15 ans pour y poursuivre ses études et y obtient des diplômes en économie, droit et sociologie. Il va ensuite enseigner à la prestigieuse université parisienne de la Sorbonne. Parallèlement, il dirige dans les années 1960 la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et anime des mouvements d’opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, « père de l’indépendance » de la Guinée, ex-colonie française qui a acquis sa souveraineté en 1958.
Sékou Touré condamne Alpha Condé à mort par contumace en 1970. Pendant son exil d’une trentaine d’années, l’opposant se lie d’amitié avec plusieurs personnalités, dont le ministre français sortant des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Lorsqu’il commence à enseigner, diplômé de l’Institut d’études politiques, à la Sorbonne il a pour collègue Michèle Alliot-Marie. Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré. Au dictateur a succédé un caporal autoritaire, Lansana Conté, qui a dû accepter une timide démocratisation permettant à Condé de se présenter à la présidentielle en 1993, puis en 1998. Ces scrutins ne sont ni libres ni transparents, mais Alpha Condé est officiellement crédité de 27 % et 18 % des voix.
Le fondateur du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) fait peur à Lansana Conté, qui le fait arrêter juste après la présidentielle de 1998, avant même la proclamation des résultats. Il est condamné en 2000 à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national ». Il purgera en partie sa peine : sous la pression internationale, il est « gracié » en 2001.
À sa sortie de prison, il assure que son « modèle » est Nelson Mandela, ancien prisonnier devenu en 1994 le premier président noir d’Afrique du Sud. « Il faut faire comme lui, pardonner mais ne pas oublier », dit-il alors. En 2003, il boycotte la présidentielle, comme les autres candidats des grands partis d’opposition.
Après la mort de Conté et la prise du pouvoir par une junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara, fin 2008, Alpha Condé réclame des élections et reste dans l’opposition. Il est en visite à New York quand l’armée réprime dans le sang un rassemblement de l’opposition à Conakry, le 28 septembre 2008, tuant 157 civils. Condé est alors l’un des premiers opposants à fustiger le « pouvoir criminel » et à dénoncer la responsabilité du chef de la junte dans le massacre.
Svelte, boitant légèrement, vêtu le plus souvent d’une chemise saharienne, Alpha Condé, marié trois fois et père d’un garçon, communique peu avec la presse, mais a le sens de la formule et sait enthousiasmer son auditoire. Limitrophe de la Sierra Leone, du Liberia, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Sénégal et de la Guinée-Bissau, la Guinée abrite sous ses 245 900 km2 d’importantes ressources naturelles. C’est l’un des premiers producteurs mondiaux de bauxite. Elle possède des gisements de fer, d’or, de diamant et de pétrole.
Condé a entrepris des réformes pour diversifier l’économie et développer le secteur minier, qui attire les investissements étrangers mais reste sous-exploité par manque d’infrastructures. La Guinée, gangrenée par la corruption (138e sur 180 pays, selon Transparency International), connaît de fortes inégalités. Plus de 55 % des habitants (12,4 millions en 2018) vivent sous le seuil de pauvreté. Beaucoup n’ont pas accès à l’électricité et à l’eau courante, selon la Banque mondiale. Et en l’espace de quelques années, sa gouvernance s’est dégradée. Il est accusé par ses adversaires de dérive autocratique au point de chercher à plier la Constitution à son ambition de troisième mandat.
Lancée en octobre 2019 par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), formé des principaux partis d’opposition et d’organisations de la société civile, la mobilisation contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé, plusieurs fois réprimée, a fait des dizaines de morts parmi les manifestants.