LA HAINE ET LA STIGMATISATION DE L’ETHNIE FANG
LIBRE PROPOS
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et d’attention les propos très durs tenus par certains compatriotes qui reprochent au Premier Ministre de la transition Raymond Ndong Sima d’avoir nommé en grande majorité des ressortissants de son ethnie, les Fang, voire son canton, chargés de missions à son cabinet.
J’ai longtemps hésité avant d’écrire les quelques lignes qui suivent, tellement le sujet est sensible. Surtout au moment où la plupart des gabonais, fraichement libérés du joug dictatorial des Bongo et leurs amis, réfléchissent comment rebâtir un Gabon nouveau dans lequel chaque gabonais pourrait enfin vivre à l’abri de la peur et du besoin. En outre il est du devoir de chacun d’entre nous de lutter avec fermeté contre tout discours, tout acte susceptible de mettre à mal notre vivre ensemble.
Malheureusement nous constatons tous que, depuis de nombreuses années, du sommet de l’Etat au niveau du citoyen lambda, la stigmatisation de l’ethnie Fang se développe et s’installe insidieusement dans le pays sans que personne ne s’en émeuve. Les Fang sont devenus un défouloir pour ceux qui veulent se faire un nom, sollicitent des faveurs auprès des détenteurs du pouvoir ou convoitent un électorat en brandissant l’épouvantail Fang.
Des chargés de missions au Gabon : Contrairement aux pays réellement démocratiques, sous les tropiques les chargés de missions des membres du gouvernement ne sont que des porteurs de valises, des agents de renseignements, des hommes à tout faire au service de leurs patrons.
Dans la pratique leurs missions consistent à vendre l’image de leurs patrons dans leurs fiefs électoraux, suivre leurs travaux de construction, accompagner leurs épouses au marché, transporter leurs enfants à l’école et remettre des enveloppes d’argent à leurs maîtresses, etc. Ainsi ne sont généralement nommés à ce poste que des ressortissants du même département que les patrons, bien connus d’eux et auxquels ils ont entièrement confiance. C’est cette tradition, instaurée depuis des lustres par le régime népotique des Bongo, qui perdure et qui a été appliquée par monsieur Raymond Ndong Sima.
De Léon Mebiame à Raymond Ndong Sima, en passant par Casimir Oye Mba, Paulin Obame Nguema, Jean François Ntoutoume Emane, Jean Eyeghe Ndong, Paul Biyogho Mba, Daniel Ona Ondo, Issoze Ngondet, Rose Chrisiane Ossouka Raponda et Alain Claude Bilie Bi Nze, cette pratique a toujours existé.
En outre, à mon humble avis dégager une infime partie de toutes les nominations opérées à la primature et l’exploiter à des fins inavouées relève simplement de la mauvaise foi et de lavilenie gratuite, marques des esprits étroits.
Au lieu de scruter la structure des nominations, nos compatriotes censeurs devraient plutôt juger les responsables politiques et administratifs sur leurs résultats. C’est sur ses résultats qu’il faudra juger le Premier Ministre, sur la base de la feuille de route que le Président de la transition lui a tracée. Ndong Sima n’est qu’une des nombreuses victimes de la haine anti-Fang qui habite, fort heureusement, une infime partie de nos compatriotes.
Du problème Fang au Gabon. Les Fang sont l’ethnie la plus nombreuse du Gabon, en dépit des recensements fictifs organisés par le régime Bongo et des faux résultats publiés pour des besoins électoraux. Ils occupent toute la province du Woleu Ntem. On les retrouve également dans l’Estuaire, le Moyen Ogooué et l’Ogooué Ivindo. On dénombre également quelques villages Fang dans la Ngounié et l’Ogooué Maritime. C’est dire le poids démographique de cette ethnie dans notre pays. D’aucuns se demanderont qui suis-je et pourquoi je parle des Fang comme un problème au
Gabon.
Je suis un gabonais de souche, je précise que je ne suis pas Fang et je suis loin d’avoir un
quelconque lien de parenté avec cette ethnie.
Je suis estomaqué par la liberté laissée et l’impunité accordée à des individus qui stigmatisent, salissent, insultent et portent atteinte à l’honneur de tout un groupe de citoyens qui ne demandent qu’à vivre en harmonie avec leurs concitoyens. Je suis profondément attristé par l’état actuel de mon cher pays, caractérisé par un tribalisme primaire, le népotisme, la haine de son compatriote, la disparition des valeurs patriotiques et du « Gabon d’abord » en un mot le désamour pour le pays.
Je suis de la génération de ceux qui sont nés, ont grandi, fait leurs études et ont commencé à travailler avant l’instauration et l’institutionnalisation du tribalisme dans ce pays.
Je suis de l’époque où il n’y avait que trois lycées au Gabon (le lycée Léon Mba, le collège Bessieux et le lycée technique de Libreville), cadres propices au brassage ethnique. Tous lesélèves des classes de terminales passaient le baccalauréat au lycée Léon Mba. Oui j’ai connu un pays dans lequel on ne s’interrogeait pas de quelle ethnie était son camarade de classe, son voisin, la vendeuse de manioc au marché.
Les quelques partis politiques qui existaient n’avaient pas une structure ethnique. Léon Mba et Jean Hilaire Aubame, pourtant tous deux Fang de l’Estauaire et certainement parentés, étaient des adversaires politiques, chacun leader de son parti. Les membres de ces partis étaient originaires de toutes les régions et ethnies du pays.
C’était la confrontation de deux projets de sociétés clairement établies, des visions différentes pour un même objectif : le développement du pays. Léon Mba, Jean Hilaire Aubame, Paul Marie Yembit, Jean Marc Ekoh, Jean Stanislas Mingolet, Louis Emile Bigman, Eugène Marcel Amogo, Vincent De Paul Nyonda, Paul Indjédjé Gondjout, Georges Damas Aleka, etc doivent se retourner dans leurs tombes au vu de ce morbide spectacle.
Les Fang sont une composante importante de ce pays. Les stigmatiser et les haïr comme le font certains compatriotes ne produira rien de positif ni pour eux-mêmes ni pour le pays. Au contraire cet exercice constitue un frein à notre « essor vers la félicité ».
Quelques déclarations de soi-disant leaders politiques restent gravées dans ma mémoire
vieillissante :
➢ Je fais plus confiance à un opposant du Haut Ogooué qu’à un pédégiste Fang (Omar
Bongo) ;
➢ Tout sauf Fang (Nzouba Ndama) ;
➢ Les Fang méritent d’être brûlés, exterminés (un certain Tchango, conseiller d’Ali
Bongo) ;
➢ Les Fang sont le mal du Gabon (Max Anicet Koumba) ;
➢ Les Fang sont des traîtres, des méchants. Je ne les aime pas (Wilfried Okoumba)
La banalisation, voire la légalisation de la stigmatisation de toute une ethnie, la plus importante du pays par le nombre, fonds politique pour certains et moyen de promotion pour d’autres est un des principaux maux de ce pays. Même les étrangers, tous bords confondus, s’y mêlent. Il faut relever que cette cabale est dirigée principalement contre les Fang du Woleu Ntem.
C’EST CETTE ENGEANCE QU’IL FAUT EXTERMINER SELON CERTAINS COMPATRIOTES.
Qui sont les Fang ?
Pour avoir été fonctionnaire, affecté dans beaucoup de localités de ce pays, j’ai le privilège de connaître le Gabon profond dans sa riche diversité, ses composantes ethniques et culturelles.
Je connais particulièrement le Woleu Ntem parce que j’y ai longtemps séjourné. La plupart de mes enfants y sont nés. J’ai foulé pour la première fois le sol de la région du Woleu Ntem en septembre 1966. Dès les premiers jours de mon arrivée à Bitam , j’ai tout de suite été marqué par le dynamisme de cette petite bourgade. C’était encore la grande époque du cacao et du café. Et je suis arrivé à la veille de la période des récoltes et de ventes, la « sizon » comme l’appelaient les villageois.
Les grands magasins, héritages des comptoirs coloniaux étaient presque tous tenus par des européens : SOMAGA, SAPIC, Magasin des Jeunes, Paris, Buffat, Hatton & Cookson, Hollando.
Il y’avait même un concessionnaire automobile, Ets Dugrais & Fils. Mercedes, Renault, OM, Tigrotto, Man, Peugeot, Citroën constituaient sa gamme de produits. Les habitants n’avaient donc pas besoin de se rendre à Libreville pour s’acheter une 2 chevaux, Une Ami 8, une R4, un camion Berliet, un camion man Diesel, un camion OM Tigrotto, un bus Saviem, etc
Le niveau de vie était le même que celui que j’avais laissé à Libreville. C’était la même chose à Oyem et dans une certaine mesure à Minvoul, le plus grand producteur de cacao de la région.
Mon attachement et l’intérêt que je porte à cette région jusqu’aujourd’hui datent de cette
époque. Je peux sans aucune hésitation prétendre connaître cette région et ses habitants.
Aux antipodes des clichés qui leurs sont malhonnêtement affublés, les Fang sont un peuple très accueillant. Tout étranger est le bienvenu à condition de les respecter et observer certaines règles de conduite.
C’est un peuple organisé, entreprenant et dynamique, fier de ses origines et attaché à sa culture. Ce qui est considéré par certains comme de l’orgueil. Ce qui marque le nouvel arrivant dans leurs villages, même les plus reculés, est l’organisation sociale.
Chacun joue un rôle dans la société. Il y a un porte-parole qui n’est pas forcément le plus âgé du village, une ou deux accoucheuses, un joueur de tam-tam, un conseil d’anciens qui organise la vie de la communauté, des chasseurs et pêcheurs, un protecteur mystique du village, etc
L’habitat social est parfaitement structuré et chaque maison remplit un rôle bien défini. Les
villages ne sont pas construits pour être abandonnés après quelques années comme dans certaines contrées du pays.
Il y a systématiquement une case commune, le corps de garde, appelée « ABAH » implantée au milieu du village. C’est le lieu où se réunissent les hommes tous les soirs. Cadre de discussions et débats, où se prennent les grandes décisions. C’est là aussi que sont organisés des évènements tels que les mariages coutumiers, les deuils et les repas communautaires.
Chaque famille dispose de cinq maisons et locaux, destinés à un rôle précis :
➢ La maison principale « maison de l’homme ». Elle est composée d’un séjour avec une
partie salle à manger, de chambres et d’une douche commune ;
➢ La cuisine de la femme, composée d’un grand espace où sont disposés des lits en
bambou, un meuble de rangement de la vaisselle et divers récipients ménagers, de
deux foyers au-dessus desquels sont suspendus des séchoirs. A côté se trouve une
petite pièce qui sert de magasin de stockage des réserves de nourriture (banane, manioc, poisson et viande fumés, etc) ;
➢ Les latrines situées suffisamment loin derrière la cuisine ;
➢ Le poulailler. Les animaux domestiques ne dorment pas en plein air ;
➢ Le séchoir à cacao et café.
Malheureusement cette organisation disparait progressivement à cause de l’exode rural et du choix de la vie à l’occidentale opérée par les nouvelles générations.
Les autres groupes ethniques devraient imiter les Fang pour un développement global du pays.
J’invite tous les compatriotes à aller passer quelques jours dans cette belle province qu’est le Woleu Ntem pour voir ce que sont de vrais villages, et comprendre que le développement de notre pays viendra du nord. D’ailleurs, il suffit de regarder la carte actuelle du monde, le développement se situe d’abord dans le nord.
Un citoyen gabonais.