Enfant terrible du cinéma français, Jean-Pierre Mocky a réalisé plus d’une soixantaine de films.
Par David B. Hauce
Un « solitaire entourés de copains », c’est ainsi que se définissait Jean Pierre Mocky. Auteur et réalisateur de quelque 66 longs métrages entre 1959 et 2017, le cinéaste est mort jeudi 8 août, a annoncé sa famille. « Jean-Pierre Mocky est mort chez lui cet après-midi à 15 heures », a indiqué son gendre Jerôme Pierrat.
De son vrai nom Jean-Pierre Mokiejewski, il tenait une place à part dans le cinéma français. Il œuvra également à la télévision en réalisant des téléfilms, dont deux séries de 2007 à 2013. Son film le plus emblématique restera Un drôle de paroissien (1963), avec Bourvil, Francis Blanche ou Jean Poiret qui redsteront des acteurs fétiches. A mort l’arbitre (avec Michel Serrault et Eddy Mitchell), sorti en 1984, ou Le Miraculé (toujours Poiret et avec Jeanne Moreau en 1987) sont également de grandes dates. Connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche, certaines de ses interventions médiatiques ont suscité la polémique.
Il avait commencé comme comédien en 1942 comme jeune figurant, et poursuivit sa carrière d’acteur régulièrement jusqu’en 2017. Il dirigea également les plus grands noms du cinéma et du théâtre français : Bourvil, Michel Serrault, Jean Poiret, Francis Blanche, Michel Galabru, Jean-Pierre Marielle, Jacqueline Maillan, Bernadette Lafont, Jane Birkin.
Né en 1933 (ou 1929, selon les versions) à Nice, d’une famille polonaise, Jean-Pierre Mocky arrive à Paris à la Libération où il gagne sa vie comme chauffeur de taxi et plagiste l’été à l’Hôtel Carlton de Cannes. En 1942, il obtient un poste de figurant dans Les visiteurs du soir de Marcel Carné. Il enchaîne ensuite plusieurs petits rôles jusqu’au film Le Paradis des pilotesperdus (1949) de Georges Lampin, son premier rôle d’envergure. Il part ensuite en Italie où il joue dans Les Vaincus (1952) de Michelangelo Antonioni. Il fait des stages auprès de Frederico Fellini et Luchino Visconti. « Mon ami Federico (Fellini), dont j’avais été le porteur de sandwichs sur La Strada, a fini sa vie seul, malade, dans son appartement de Rome, à 73 ans. Voilà pourquoi le cinéma me rendait heureux, à l’imparfait », confiait-il à Télérama.
A son retour en France, il passe derrière la caméra. « Je suis un comédien qui est devenu metteur en scène parce qu’il n’avait pas de rôle », raconte-t-il à Libération en 2015. Il est le co-auteur de l’adaptation du livre d’Hervé Bazin, La Tête contre les murs (1959), réalisé par Georges Franju, avec Anouk Aimée, Paul Meurisse et Pierre Brasseur à l’affiche mais le film ne rencontre pas le succès escompté.
Dans la foulée, Jean-Pierre Mocky réalise son premier film, Les Dragueurs (1959), où Charles Aznavour (Joseph) et Jacques Charrier (premier mari de Brigitte Bardot, dans le rôle de Freddy) incarnent deux coureurs de jupons. Ce premier film obtient un certain succès. A l’âge de 26 ans, il est déjà vu comme un réalisateur prometteur.
Le réalisateur trouve sa signature dans les comédies. En 1963 il sort Un drôle de paroissien, un film qui marquera sa carrière. Il y raconte l’histoire d’un aristocrate désargenté refusant de travailler. Pour que sa famille survive, Georges Lachaunaye va voler les troncs d’églises. Ce premier rôle est tenu par Bourvil, qui collaborera plusieurs fois avec le cinéaste. « La relation que j’ai eue avec Bourvil a été la plus fructueuse et chaleureuse de ma vie », confiait-il à la chaîne Arte. Jean Poiret et Francis Blanche, deux autres acteurs fétiches du réalisateur, sont à l’affiche. On retrouve le trio dans La Grande Lessive (!) (1968), un autre grand succès de Jean-Pierre Mocky. Dans ce long-métrage, le professeur de lettres Armand Saint-Just s’attaque aux antennes réceptrices de Paris pour neutraliser les télévisions qui, selon lui, engourdissent ses élèves.
Son film Solo (1970) marque un tournant plus sombre et politique. Dans ce film, Victor est le chef d’un groupe d’extrême gauche responsable d’attentats contre la bourgeoisie. La bande-son est signée Georges Moustaki. Dans le même esprit, L’Albatros, sorti en 1971, dénonce la corruption politique. Le film suit la cavale d’un prisonnier qui kidnappe la fille d’un politicien en campagne électorale. Cette fois, c’est Léo Ferré qui compose la musique du film. Il poursuit avec L’Ibis rouge (1975), qui rassemble à l’écran Michel Simon, Michel Galabru et Michel Serrault. Ce sera le dernier rôle de Michel Simon car l’acteur meurt peu de temps après la sortie du film. « C’est un film devenu culte bizarrement. C’est parce que Fredric Brown, l’auteur du roman initial est un auteur formidable », expliquait le réalisateur en 2011 à Allociné.
Après quelques échecs, Jean-Pierre Mocky réalise un autre de ses films cultes, Y-a-t-il un Français dans la salle ? (1982) avec Jacques Dutronc, Jacqueline Maillan, Victor Lanoux et Michel Galabru qui brocarde l’Assemblée nationale. Il continue dans le registre comique avec Le Miraculé (1987), sur le commerce autour des apparitions de la vierge à Lourdes et qui a fait polémique. Sur ce succès, il enchaîne avec Les Saisons du plaisir(1988), où la sexualité est abordée sans détours et où Jacqueline Maillan répond au téléphone rose. « Jean-Pierre Mocky est un paradoxe. Il aura eu la particularité d’occuper une place impossible dans le cinéma français. Celle d’en être à la fois la marge et le centre, d’en être la nature même et sa critique radicale en même temps », analyse la Cinémathèque française qui lui accorde une rétrospective en 2014.
Dans les années 1990 et 2000, le succès n’est pas toujours au rendez-vous pour Jean-Pierre Mocky et certains de ses films ne sont pas distribués en salles. Il trouve la parade en s’offrant une salle de cinéma, le Brady puis le Desperado, où il diffuse ses films et ceux de ses cinéastes préférés. Le réalisateur se met à la télévision avec Myster Mocky présente, une série adaptée de nouvelles d’Alfred Hitchcock. Il réalise ensuite le téléfilm Le Dealen 2006 puis Colère en 2010 qui sera diffusé sur France 2. Il signe également le court métrage Agafia avec Gérard De pardieu et Pierre Richard.
Infatigable, Jean-Pierre Mocky écrivait, tournait et montait ses films lui-même pour faire baisser les coûts. « Je suis mon propre maître », expliquait-il aux caméras de France TV avec la verve anarchiste dont il aimait faire usage. Il y a quelques mois, le réalisateur était en repérage à Dreux pour un projet de tournage.
L’âge de Jean-Pierre Mocky est sujet à caution. Le réalisateur est né en 1929. Mais dans son livre La Grande Marche,paru en 2014, Jean-Pierre Mocky indiquait être né le 6 juillet 1933. Il expliquait que la confusion provient du fait que son père, juif polonais, avait fait falsifier l’acte de naissance de son enfant pendant l’occupation allemande afin de le vieillir pour qu’il puisse prendre seul le bateau afin de rejoindre son oncle, en Algérie (ce qu’il n’a finalement pas fait). Si l’on en croit Jean-Pierre Mocky, il est donc né le 6 juillet 1933. Si l’on en croit son acte de naissance (qu’il n’a jamais fait rectifier), il est né le 6 juillet 1929. Nous avons choisi de privilégier la version du réalisateur.