Le numérique contre la pauvreté (2/6). Ce système d’épargne rotatif, très pratiqué sur le continent, est désormais disponible sous forme d’applications.
Par David B. Hauce
Depuis 2018, Aby Ndiaye et quatorze de ses voisines de quartier participent à une tontine numérique. Chaque mois, elles cotisent 10 000 francs CFA chacune sur la plateforme. Tirée au hasard, l’une d’entre elles remporte la somme totale, ce qui lui permet de procéder à des investissements et des achats conséquents. Le mois suivant, une autre participante remporte la somme, et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les membres du groupe aient récupéré leur part.
Ce système d’épargne rotatif a été inventé par le banquier italien Lorenzo Tonti au XVIIe siècle. Il s’agissait à l’origine d’une rente viagère qu’il proposa au cardinal Mazarin afin de résoudre les aléas du système fiscal français. Moins utilisé en Europe depuis l’avènement des assurances modernes, le système tontinier a trouvé une seconde jeunesse en Afrique.
»Au départ, ce système paraît illogique, affirme Bernie Akporiaye, cofondateur de l’application mobile MaTontine. Dix personnes cotisent 10 euros. L’une gagne le lot et le cycle se répète jusqu’à ce que chacune récupère la somme de 100 euros investie. Dans une banque, elles gagneraient au moins un intérêt ». Le problème est qu’en Afrique, moins de 20 % des gens sont bancarisés, alors que les urgences économiques sont plus pressantes. »Un proche malade, un mariage ou un décès pour lesquels il faut débourser, ça grève l’épargne, poursuit-il.
Dans une tontine, pas le choix. Il faut cotiser chaque mois car on s’est engagé avec des proches, des amis. Cela limite les défauts de remboursement à moins de 2 % ».
Ce circuit d’épargne sociale existe depuis des décennies en Afrique. Désormais, il se modernise et s’étend grâce au numérique. « Sur le continent, le taux de pénétration du mobile est de plus de 100 % », explique Rokhaya Solange Ndir, chargée du département responsabilité sociale d’entreprise chez Orange Sénégal : »Les gens ont souvent deux téléphones, avec deux opérateurs. La démocratisation d’Internet, avec la baisse des coûts et l’extension des réseaux 3G et 4G, permet à des systèmes traditionnels comme les tontines de se numériser. »
Créée en 2015, MaTontine affirme miser sur cette évolution pour faire des tontines un outil de réduction de la précarité. En numérisant les cercles d’épargne traditionnels et en établissant les profils bancaires de ses membres, l’entreprise peut proposer une gamme de services financiers, tels des microcrédits et des assurances santé. « Les banques ne veulent pas octroyer de petits prêts car ce n’est pas rentable, explique M. Akporiaye.
Mais en s’appuyant sur les structures sociales des tontines, les populations défavorisées deviennent plus attrayantes pour les assurances et les banques. Nous ciblons donc les 80 % auxquels le système bancaire ne prête pas attention ».