Dimanche 27 décembre, à l’occasion des élections présidentielle et législatives en Centrafrique, la pression exercée depuis plus d’une semaine par la CPC, une coalition de groupes armés décidée à entraver le vote, faisait craindre le pire. Finalement, le bilan est très contrasté: tour d’horizon.
Par Maurice Duteil
Dans la nuit de samedi à dimanche quelques tirs avaient résonné à Bangui. Mais ils n’ont pas empêché les élection de la capitale de venir aux urnes dès le petit matin. Beaucoup électeurs disent s’être déplacés pour dire « non » à la prise de pouvoir par la force, malgré quelques dysfonctionnements par endroits : retards à l’ouverture, manque de bulletins de vote ou problèmes de listes électorales.
Pour le reste, il était difficile dimanche soir d’avoir une vue exhaustive et précise des zones où le vote n’a pas pu se tenir. Une estimation donnée par l’ANE, l’Autorité en charge des élections, donne déjà une indication : 800 bureaux de vote n’ont pas du tout ouvert dans le pays, sur un total de 5 400, soit environs 15%. Mais selon une évaluation officielle du comité de sécurisation du scrutin qui a fuité en fin de journée, le scrutin n’a pas pu se tenir dans un tiers des sous-préfectures.
C’est le cas par exemple à Bouar, où des tirs nourris entendus depuis le matin ont créé la psychose. Résultat : ni les membres des bureaux, ni les électeurs ne se sont déplacés. Les Centrafricains n’ont pas non plus pu voter à Bossangoa, le fief de l’ancien président François Bozizé, où les agents électoraux avaient été menacés de représailles.
Dans d’autres localités, le scrutin a été partiel. À Bambari, il a fallu l’intervention de la Minusca pour que le scrutin débute uniquement dans certains bureaux dans l’après-midi.
Dans le nord du pays, plusieurs motos qui transportaient le matériel de vote ont été prises pour cibles par les groupes armés et de nombreux tirs nourris ont été entendus par les habitants. Autant de violences qui ont tenu les électeurs loin des bureaux de vote.
À Kaga Bandoro, seul un bureau sur huit a pu recueillir les bulletins. « Les gens se sont présentés dans le bureau de vote de centre Kaga Bandero, mais les autres bureaux de votes n’ont pas pu voter. Les bureaux sont menacés par les groupes armés. Et les gens ne sont sont pas présentés : ni les membres du bureau, ni les matériels, ni les électeurs », détaille le maire de la commune, Abel Cherif.
Plus à l’ouest, la ville de Carnot et ses alentours avaient réussi, tant bien que mal, à réunir les bulletins, sous la protection de la Munisca. Mais un raid du groupe armé 3R, en fin d’après-midi, a anéanti tous leurs efforts.
« Les 3R ont fait irruption à partir de 16h47. Ils ont commencé d’abord à tirer en l’air, puis ils ont brûlé toutes les urnes. Ils ont aussi saccagé les centres administratifs, c’est-à-dire la mairie, la brigade minière, la gendarmerie, et la sous-préfecture de Carnot », raconte Yves Mayer, le rapporteur général aux élections de l’autorité préfectorale de la ville de Carnot.
Enfin, là où le vote a pu se tenir dans de bonnes conditions, notamment à Sibut ou Mbaïki, les électeurs ont, selon des sources officielles, montré un véritable engouement.
À Bangui, dans le centre de vote Koudoukou au quartier PK5, des problèmes d’organisation ont troublé le déroulé de la journée, relate notre envoyée spéciale. Hawa Diarra, une électrice, s’est levée à 5h pour aller voter. À 14h, elle n’avait toujours glissé aucun bulletin dans l’urne : « L’autre jour, je suis venue pour retirer ma carte, mais elle n’est pas sortie. On m’a dit que je pouvais voter avec le récépissé. Mais aujourd’hui, on me dit que je ne peux pas voter avec ce récépissé. Je fais comment ?! »
Malgré son récépissé d’enrôlement, son nom ne figure pas sur la liste des électeurs. Autour de Hawa, ils sont une dizaine dans ce cas, et la colère est palpable.« Ils devraient avoir les bulletins de la présidentielle et les bulletins des législatives. Mais, à notre grande surprise, les bulletins des législatives ne sont pas arrivés ! », S’indigne Mahamane Diounous.
Le président du centre de vote, Charles Palme Betar, commence par nier : « C’est archi faux, les bulletins sont en place. » Puis, il change de version, faute d’avoir pu nous montrer ces bulletins. Il évoque alors une erreur d’aiguillage. Quant aux noms manquants sur les listes d’électeurs, l’ANE reconnaît qu’il y a eu par endroits des dysfonctionnements dans la façon dont certains agents ont utilisé les tablettes qui ont servi à l’enrôlement.
Dans la capitale, le dépouillement des urnes peut aussi être un exercice compliqué et peut se poursuivre jusque tard dans la soirée, rapporte notre correspondante. En tout cas, les observateurs se montrent très consciencieux. Les bulletins sont méticuleusement regardés et débattus lorsqu’il y a un litige. Les comptes sont réalisés au fur et à mesure.
Mais à la fin, ils ne sont pas bons.« Au début, ça s’est bien passé. Mais à un moment, il y a eu un souci de comptage. Donc, le président (du bureau) a jugé mieux qu’on refasse le comptage pour avoir un résultat exact », raconte Laure Edwige Beninga, observatrice de court terme du Réseau Arc en Ciel.
Finalement, les comptes tombent justes. Mais il faut encore remplir de multiples documents, dans le noir, à la lumière de quelques lampes torches. Une tâche compliquée à gérer. Arnaud Banakean, en charge de ce bureau de vote, mesure le travail accompli et celui encore à faire : « On vient de finir le dépouillement concernant la présidentielle. Nous allons préparer toutes les enveloppes à envoyer aux institutions. C’est un peu compliqué. Il faut faire ça à tête reposée pour ne pas faire d’erreur. »
20h30 dimanche : le processus de dépouillement pour la présidentielle est fini dans ce bureau de vote. Des témoins du scrutin, découragés, sont partis. L’équipe, elle, s’attaque alors à l’ouverture de l’urne des législatives.