38 voix pour, 29 contre : le Sénat valide la légalisation de l’avortement déjà adoptée par le Parlement avec une confortable majorité. L’Argentine devient ainsi l’une des rares nations d’Amérique du Sud à autoriser l’IVG, après des années d’un débat qui a profondément divisé l’opinion publique.
Par David B. Hauce
Déjà approuvé par les députés le 11 décembre 2020, le texte autorisant l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse a été voté par les sénateurs avec 38 voix pour, 29 contre et une abstention. Cette victoire du camp pro-légalisation intervient deux ans après l’échec d’une première tentative qui avait déjà secoué le pays. Jusqu’ici, l’avortement n’était permis en Argentine qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, selon une loi datant de 1921.
« C’est devenu une loi et cela passe désormais dans les mains de l’exécutif », s’est félicitée la présidente du Sénat et ancienne cheffe de l’Etat, Cristina Kirchner, à l’issue d’un débat homérique de plus de douze heures. Seuls quelques sénateurs étaient présents à l’Assemblée, la plupart débattant par visioconférence en raison de la pandémie de Covid-19.
Des milliers de partisans du « oui » ont manifesté leur joie devant le Parlement : « Après tant de tentatives et des années de lutte qui ont fait couler du sang et nous ont coûté des vies, aujourd’hui nous avons enfin fait l’Histoire. Aujourd’hui, nous laissons un monde meilleur pour nos enfants », lancé Sandra Lujan, une psychologue de 41 ans, qui participait à la veillée organisée par les partisans de l’avortement reconnaissables à leur couleur verte.
Alors que les députés avaient adopté le texte par 131 voix pour, 117 contre et 6 abstentions, le vote du Sénat, réputé plus conservateur, semblait loin d’être acquis.
En 2018, il avait rejeté par sept voix un texte similaire dans un pays encore très catholique et profondément divisé sur la question.
Le président de centre gauche Alberto Fernandez, au pouvoir depuis fin 2018, avait promis pendant sa campagne de soumettre à nouveau la légalisation de l’IVG aux parlementaires. « Je suis catholique, mais je dois légiférer pour tous, c’est un sujet de santé publique très sérieux », a récemment déclaré le chef de l’Etat. Mais tous les sénateurs de sa majorité ne sont pas favorables au texte. »Cette loi n’oblige pas à avorter, elle ne promeut pas l’avortement, elle lui donne seulement un cadre légal », a souligné au cours des débats le sénateur membre de la majorité Sergio Leavy.
Le pape argentin François, jusque-là silencieux sur la question, a publié un message sur Twitter. Un message qui, même s’il ne fait pas référence explicitement au débat, est interprété par la presse argentine comme un rejet de la loi.
Malgré la pandémie, plusieurs milliers d’Argentins s’étaient rassemblés à proximité du Parlement pour exprimer leur soutien ou leur rejet du texte, avec force banderoles, musique et des écrans géants transmettant les débats en direct. « Sénateurs, c’est maintenant ! » pouvait-on lire du côté des pro-IVG. « Nous sauvons deux vies », proclamaient les anti-IVG.
L’Eglise catholique et les protestants évangéliques, opposés au texte, avaient lancé un appel à « s’unir pour implorer le respect et le soin de la vie à naître », avec une journée de jeûne et de prière. « Je sais que dans le cœur de chaque sénateur il y a cet amour pour ses enfants, ses petits-enfants, et surtout l’espoir et le bonheur que les enfants nous donnent. Je suis sûre qu’ils vont l’emporter grâce à cela », confiait Karina Muzaquio.
Ralliés autour de la couleur verte, les partisans de la légalisation de l’IVG ont fait une intense campagne sur les réseaux sociaux. En particulier la Campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit, qui regroupe plus de 300 organisations féministes, déjà très mobilisées en 2018. « Aujourd’hui, nous espérons que la loi va passer (…) pour que les femmes arrêtent de mourir à cause d’avortements clandestins », déclarait la militante socialiste féministe Cele Fierro, aborant un masque vert.
A l’annonce de l’adoption du texte de loi, elle se félicite et remercie : Selon le gouvernement, entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année dans le pays de 44 millions d’habitants, où 38 000 femmes sont hospitalisées pour complications lors d’avortements clandestins. Pour tenter de convaincre les sénateurs de voter le texte, le gouvernement incluait la possibilité pour les médecins de faire valoir leur « objection de conscience ». Parallèlement, un autre projet de loi créé une allocation des « 1000 jours » destinée à soutenir les mères de famille pendant leur grossesse et les premières années de l’enfant, de façon à réduire les avortements pour raisons économiques.
Avec ce texte, l’Argentine rejoint Cuba, l’Uruguay, le Guyana et la province de Mexico, l’Etat de Oaxaca au Mexique, les seuls à autoriser l’IVG sans conditions en Amérique latine.