Rien ne va plus entre Malabo et Yaoundé au sujet de leur frontière commune. Après les travaux de construction d’un mur de séparation, la Guinée équatoriale a initié l’érection de miradors «empiétant» sur le territoire camerounais. Une situation qui ravive les tensions dans la localité de Kye-ossi et questionne la libre circulation dans la région.
Par Maurice Duteil
La frontière terrestre entre la Guinée équatoriale et le Cameroun demeure une source de tension entre les deux pays dans la localité de Kye-ossi, région du Sud-Cameroun. Jeudi 2 avril dernier, les ministres délégués à la Défense et à l’Administration territoriale ont été dépêchés par Paul Biya pour examiner la situation qui prévaut dans cette zone des Trois frontières (Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon). En effet, des incidents répétés ont été signalés depuis que Malabo a entrepris, le mois dernier, la construction de miradors le long de cette frontière, apprend-on du quotidien gouvernemental Cameroun Tribune, «empiétant» ainsi sur le territoire camerounais.
Déjà l’année dernière, La Guinée équatoriale avait lancé un projet de construction d’un mur de séparation entre les deux pays. Un autre chantier qui avait aussi soulevé le problème du non-respect du tracé de la frontière et suscité des tensions similaires entre les deux États. Malabo a-t-il des visées «expansionnistes» en Afrique centrale, notamment vis-à-vis du Cameroun? Pour Aristide Mono, spécialiste des relations internationales, «ces prétentions de la Guinée équatoriale ne sont pas forcément territoriales, même s’il faut noter que les accusations de violation de la souveraineté territoriale formulées par le Cameroun prouvent que le pays veut accroître son espace physique».
«Seulement, il faut lire l’expansionnisme de la Guinée équatoriale en matière d’hégémonisme sous-régional ou simplement en termes de quête de leadership», poursuit l’analyste.
Alors que le chantier du mur de séparation reste d’actualité, beaucoup d’observateurs épiloguent sur la nécessité d’une telle barrière entre les deux pays. Si, pour certains, cette initiative est à mettre sur le coup des «réactions spontanées» du Président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, qui a très souvent ordonné la fermeture de ses frontières à la suite des échauffourées entre Camerounais et Équato-Guinéens, Aristide Mono affiche un autre point de vue:
«Il s’agit plutôt d’un postulat au regard de la multitude de tensions ayant jusqu’ici émaillé les rapports entre les deux voisins. Au cœur de cette histoire diplomatique tumultueuse trône la problématique de l’insécurité. Ce mur apparaît comme un instrument de lutte et de prévention de cette insécurité», explique l’expert.
En août 2019, les autorités camerounaises ont été alertées par l’intrusion de militaires équato-guinéens sur leur territoire près de la ville frontalière de Kye Ossi. Sur plusieurs centaines de mètres au-delà de la rivière qui matérialise la frontière, les Camerounais ont constaté le lancement du chantier d’un mur de séparation initié par leur voisin équato-guinéen. La construction doit s’étendre sur 40 kilomètres entre Kye Ossi au Cameroun et Campo en Guinée équatoriale.
Officiellement, il s’agit pour Malabo d’assurer la sécurité de cette frontière un an après la tentative de coup d’Etat conduite par des mercenaires tchadiens et centrafricains qui étaient venus du Cameroun. Un argument qui sonne juste pour Aristide Mono, au regard de certains antécédents historiques.
«On se souvient que le Cameroun a été régulièrement accusé dans ce sens par Malabo. On peut citer les accusations de soutien aux rebelles du Mouvement d’autodétermination de l’île de Bioko dirigé par Severo Moto Nsa. On peut également noter la tentative de coup de force du 24 décembre 2017. Il faut par ailleurs relever dans la démarche de Malabo un souci d’endiguement de la criminalité transfrontalière et de la contrebande dont le Cameroun servirait de base à arrière», souligne le spécialiste des relations internationales.
Si, officiellement, la construction de ce mur vise à assurer la sécurité à la frontière de la Guinée équatoriale, le Dr Frédérique Foka, internationaliste et chercheur au centre de recherche A-Priori à Yaoundé, pense que la crainte d’un afflux de réfugiés venant du Cameroun pourrait également expliquer ce projet.
«En réalité, ce qui justifie aujourd’hui cet isolationnisme, c’est l’immigration. Et la Guinée équatoriale, nouvel eldorado du pétrole il y a de cela quelques années, pense qu’elle sera envahie par les Camerounais. La construction du mur vise principalement à fermer la frontière avec le Cameroun», commente-t-il.
Depuis que le pays est devenu un «émirat pétrolier», il attire de nombreux étrangers venant essentiellement de la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale). Un afflux tous azimuts souvent à l’origine, selon Aristide Mono, de certains fléaux avec en prime, le parasitage de l’économie équato-guinéenne.
Il s’agit, argue l’expert, de «l’étouffement économique du pays en termes d’envahissement à la fois du marché local et du secteur de l’emploi, de la diffusion ou de la vulgarisation de mœurs sociales peu recommandables telles que la prostitution, la feymania et le gangstérisme».
«Il s’agit, de façon concrète, de contenir l’impérialisme démographique du pays qu’il a toujours accusé: les Camerounais et les autres nationalités qui transiteraient sans contrôle rigoureux de Yaoundé», souligne-t-il.
Pour le docteur Frédérique Foka, si l’on peut inscrire la démarche de Malabo dans le vaste mouvement mondial de nationalisme, qui n’est pas propre à l’Afrique «mais que l’on observe aussi en Israël, aux États-Unis avec l’élection de Trump, ainsi que dans certains pays de l’Europe de l’Est, voire même en Europe de l’Ouest avec l’Italie», il est cependant difficile de justifier la construction de ce mur.
«Sauf à penser que la Guinée équatoriale est dans une stratégie d’isolation, rien ne peut expliquer pourquoi un mur est en train d’être érigé. On a de plus en plus l’impression que les peuples ont tendance à se replier sur eux-mêmes. Et l’érection des murs est, en fait, le symbole le plus parlant de cet isolationnisme des différents États», poursuit le chercheur.
Un isolationnisme s’inscrivant dans un contexte sous-régional où le principe de la libre circulation peine à être une réalité, du fait notamment des égoïsmes nationaux. Dès lors, la construction d’un mur entre le Cameroun et la Guinée équatoriale n’achève-t-il pas de convaincre l’opinion sur l’absence d’une véritable unité dans la sous-région?
«Effectivement, c’est l’une des preuves palpables de la faillite chaotique du principe de la libre circulation inséré dans ce grand package de l’intégration sous-régionale recherchée par la CEMAC. Et on peut aujourd’hui clairement établir de manière objective la responsabilité des différents pays dans l’échec de l’intégration. Bref, il est clair que l’érection de ce mur désillusionne toute croyance dans la libre circulation brandie par les officiels de la CEMAC. Elle trahit le manque de rigueur qui anime les promoteurs de cet idéal», considère Aristide Mono.
Si le constat d’un rétropédalage sur les petites avancées observées jusqu’ici au niveau de l’intégration sous-régionale est partagé, Frédérique Foka tient à souligner que depuis qu’elle est devenue un eldorado, «la Guinée équatoriale s’est difficilement située dans la libre circulation des personnes».
«Globalement, les États de l’Afrique centrale s’entendent sur la libre circulation des biens comme c’est le cas au niveau du monde. Mais il y a une véritable difficulté à matérialiser la libre circulation des personnes. L’érection des murs, la construction de miradors et autres vont clairement à l’encontre de la libre circulation des personnes», conclut l’internationaliste.
Le différend opposant le Cameroun à la Guinée équatoriale n’est pas le seul du genre que connaît l’Afrique. Depuis les indépendances, le continent noir a très souvent été le théâtre de litiges frontaliers, terrestres et maritimes, certains provoquant des escarmouches régulières, et parfois même des interventions militaires, alors que d’autres ont été portés, plutôt, devant les juridictions internationales. Ces conflits sont nés, pour la plupart, du traçage arbitraire de l’Afrique par les grandes puissances européennes.