Le microcosme politique camerounais est en ébullition à cause d’un décret présidentiel tenu confidentiel jusqu’alors. Sa récente révélation prouve qu’il est daté du 5 février 2019. Ainsi donc, le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République dispose d’une délégation permanente de signature.
Par Tyeddy Osse
Par une pirouette, en tentant de contourner le mécontentement. Une subite et soudaine newsletter de la présidence de la République du Cameroun vantant la politique des «Grandes opportunités» du président Paul Biya, va dans une ligne du texte donner l’illusion d’informer l’opinion. Il s’agit de celle rapportant le décret no 2019/043 du 5 février 2019 «accordant délégation permanente de signature à monsieur Ngoh Ngoh Ferdinand, Secrétaire général de la présidence de la République». Peine perdue cela n’empêchera pas le peuple de jaser.
Sur la toile, le texte est rapidement devenu viral. Pour l’opinion qui s’émeut de cette disposition, c’est la confirmation de ce qui se chuchote dans les chaumières et sous les lambris dorés de la République, à savoir l’exercice de fait du pouvoir suprême par le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr). «Les pleins pouvoirs accordés au plénipotentiaire Ngoh Ngoh», remarque perfidement un internaute. La chronique mondaine prête en effet à ce proche de la première dame du Cameroun de rêver du fauteuil présidentiel tous les matins en se rasant.
Il faut dire d’emblée que le décret sus cité s’adosse sur une disposition de la loi fondamentale : l’article 10 de la Constitution. Celui-ci stipule en son alinéa 2 que «le président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration de l’Etat, dans le cadre de leurs attributions respectives». «C’est comme cela que l’administration fonctionne lorsqu’on forme un nouveau gouvernement, excipe Emeran Atangana Eteme ; ceci encore plus quand le ministre en question bénéficie d’une nouvelle appellation. Il est devenu ministre d’Etat».
Pour ce constitutionnaliste et enseignant de droit administratif, la disposition objet de débats « n’entraine pas dessaisissement du président de la République, parce que la délégation de signature investit le délégataire mais n’entraîne pas dessaisissement du délégant». «Ce n’est pas une délégation de pouvoirs, c’est une délégation de signature», insiste-t-il. Il continue : «c’est pour que le délégant n’est pas beaucoup de travail. Le ministre d’Etat rend compte, il discrimine ce qu’il peut signer de ce qu’il peut laisser à la compétence du délégant. Il sait par exemple qu’il ne peut pas nommer des ambassadeurs, des préfets, des gouverneurs ou des ministres. Parce que si tout remonte les parapheurs vont pleuvoir».
Une plongée dans les mémoires d’un ancien secrétaire général de la présidence de la République permet de comprendre davantage la délégation de signature. Dans « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités», l’ex Sgpr Jean Marie Atangana Mebara, explique qu’en tant qu’«assistant», «il reçoit, du président de la République, une délégation permanente de signature de certains actes administratifs, qui n’est pas une délégation de pouvoirs. Pour une délégation de pouvoirs, il faut un acte spécial, ‘expressément pris’.»
Concrètement, il s’agit «de signer certains actes administratifs, comme de signer les actes d’intégration ou de nomination de certains personnels de la sûreté nationale, ou de signer des courriers en son nom». A contrario, l’ancien «vice-dieu » se souvient que le président de la République lui avait suggéré de lui déléguer ses pouvoirs.
Il relate cet épisode : «je crois en 2003, quelques jours avant un voyage à l’étranger, le président m’a instruit de préparer un projet de décret m’accordant une délégation spéciale de pouvoirs. Il m’a alors révélé que le président Ahidjo lui en délivrait toujours avant tout déplacement à l’étranger, particulièrement quand il allait passer son check-up médical. Il m’a indiqué que je devrais trouver dans les archives de la présidence, un de ces textes et m’en inspirer». Et l’ancien Sgpr (aujourd’hui emprisonné) de révéler : «non seulement je n’ai effectué aucune recherche, mais j’avoue que je ne comprenais pas le sens de cette instruction». Pour lui, le président Paul Biya «voulait peut-être tester sur un appétit du pouvoir».