Pour ne pas être en reste par rapport aux autres grandes puissances, Poutine organise un sommet Russie-Afrique à Sotchi les 23 et 24 octobre prochains.
Par Maurice Duteil
Moscou met le cap sur l’Afrique. Pour enraciner cette ambition face à l’Occident mais aussi à la Chine, Vladimir Poutine va présider la semaine prochaine son premier grand sommet africain. Dans la cité balnéaire de Sotchi, Vladimir Poutine et son homologue égyptien coprésideront donc, les 23 et 24 octobre, le premier »sommet Russie-Afrique ». Une trentaine de chefs d’État africains y est attendue.
Kremlin, Dmitri Pesko le porte-parole assure que: D’anciens pays frères communistes, comme l’Ethiopie ou l’Angola, figurent en bonne place, mais aussi des États où Moscou n’a avancé ses pions que plus récemment, comme la Centrafrique ou des puissances d’Afrique de l’Ouest. Au programme, des discussions politiques et économiques pour montrer que les Russes peuvent, comme la Chine ou l’Europe, être un partenaire fiable. La Russie a beaucoup à offrir en termes de coopération mutuellement bénéfique pour les États africains.
L’événement concrétise des rapprochements de plus en plus nombreux depuis quelques mois. Ces derniers temps, les dirigeants africains se bousculent à Moscou. En août, le président russe a reçu le Mozambicain Filipe Nyusi. Avant lui, ce sont le Congolais Denis Sassou Nguesso et l’Angolais João Lourenço qui ont fait le déplacement du Kremlin. Quant à l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, on peut dire qu’il est l’un de ceux qui est le plus proche de Poutine en Afrique. En tout, une dizaine de présidents a visité la capitale russe depuis 2017.
Evguéni Korendiassov, ex-ambassadeur, aujourd’hui membre de l’Institut des études africaines de Moscou explique que: La Russie s’installe doucement mais sûrement. Après son retour au Moyen-Orient avec le conflit syrien, Moscou souhaite asseoir son statut de puissance d’influence mondiale. Ce forum sert à marquer le tournant décisif de la Russie vers l’Afrique. Exemple le plus frappant d’un retour sur le continent africain : l’arrivée début 2018 d’armes et de dizaines de conseillers militaires en Centrafrique, pourtant un pré carré français. Là, l’influence russe est tout sauf discrète, à commencer par celle de Valeri Zakharov, conseiller à la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra.
S’y ajoutent les patrouilles dans Bangui des mercenaires du groupe Wagner, une société militaire qu’on dit financée par Evguéni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine. Ces hommes, avec qui Moscou dément tout lien, ont été aperçus ailleurs : en Libye, on les dit alliés au maréchal Haftar. Dans le nord du Mozambique, ils combattraient avec l’armée une rébellion djihadiste et des médias occidentaux ont fait état d’une présence à Madagascar et au Soudan. Moscou a par ailleurs signé plusieurs accords de coopération militaire, le dernier avec le Mali en juin.
Pour autant, la Russie est encore loin de pouvoir faire concurrence aux puissances occidentales. Il ne faut pas réduire tout ça à cette histoire de confrontation (avec l’Occident). Nous ne sommes pas l’Union soviétique, nous n’en avons ni l’ambition, ni les possibilités ou les ressources, note Evguéni Korendiassov. Arnaud Kalika, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), juge lui »inexact » de parler actuellement d’une présence russe massive en Afrique.
Arnaud Dubien, de l’Observatoire franco-russe, dans une note sur le sujet affirme que: Le choix d’une approche pragmatique et réaliste. Dans son ensemble, la politique africaine de la Russie se veut très pragmatique : Moscou souhaite réinvestir le continent et est prête à s’engager avec tous ceux qui y voient un intérêt. Dans le cadre de sa diplomatie économique, Moscou tente, avec des fortunes diverses, de mobiliser ses réseaux de l’époque de la guerre froide et de convertir d’anciennes affinités idéologiques en flux d’affaires.
Mais la Russie arrive tard sur ce terrain économico-commercial. Qu’il s’agisse d’infrastructures ou de ressources naturelles, la Chine a marqué de son empreinte le continent, se posant en concurrent numéro un des puissances occidentales. Et Moscou pèche parfois par méconnaissance. Arnaud Kalika se rappelle d’un chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, stupéfait de découvrir l’an passé en Éthiopie que ce partenaire historique était désormais tourné vers la Chine et les États-Unis.
S’il est une époque où Moscou a pris pied en Afrique, c’est bien celle-ci : de 1945 à 1975, l’URSS a joué un rôle essentiel dans la décolonisation de nombreux pays africains, apportant un soutien militaire et financier aux mouvements indépendantistes au nom de la lutte contre l’impérialisme capitaliste. Très naturellement, plusieurs pays nouvellement indépendants basculèrent dans le camp socialiste et par milliers, les conseillers militaires soviétiques se dispersèrent à travers le continent. Plus tard, en Angola et au Mozambique, URSS et bloc occidental se sont affrontés en soutenant des camps opposés lors de guerres civiles.
Quelques chefs d’État africains ont également fait le lien avec l’ancienne puissance soviétique. Le Sud-Africain Thabo Mbeki, l’Angolais José Eduardo dos Santos… Il ne faut pas l’oublier. Quelques-uns des dirigeants africains ont été formés dans l’université moscovite Patrice-Lumumba, rebaptisée Université russe de l’amitié des peuples après la chute de l’URSS. Depuis son ouverture en 1961, elle est un symbole de la coopération russo-africaine, formant quelque 20 000 étudiants appelés à devenir des cadres de premier plan dans leur pays. Depuis la chute de l’URSS, cette influence a baissé mais l’Université s’est relancée ces dernières années, avec 49 accords interuniversitaires pour faire face aux concurrents chinois, saoudiens et français. Pas de doute : désormais, Moscou veut passer à la vitesse supérieure et ne plus se contenter de son image de vendeur de kalachnikovs, cette arme emblématique qui orne… le drapeau mozambicain.