Le Comité Adama, qui a réuni 20 000 personnes le 2 juin à Paris malgré l’interdiction de manifester, espère réitérer la performance ce samedi.
Par David B. Hauce
Assa Traoré le répète inlassablement : «Ce n’est pas une petite victoire que nous voulons». Si, à ses yeux, «la victoire» passe avant tout par la mise en examen des gendarmes impliqués dans la mort de son frère Adama le 19 juillet 2016, réaliser que 20 000 personnes défilaient à ses côtés, le 2 juin à Paris, a forcément eu quelque chose de galvanisant. A fortiori un soir d’état d’urgence sanitaire, alors que le rassemblement devant le palais de justice de Paris avait été interdit par la préfecture de police.
Ce samedi, Assa Traoré et son Comité Adama entendent à nouveau lever des milliers de personnes, en appelant à une marche qui partira, à Paris, de la place de la République à 14 h 30 et trouvera un relais dans de nombreuses villes en France. L’occasion d’acter la nouvelle dimension prise par la lutte contre les violences policières dans la société française, en résonance avec l’émotion planétaire suscitée par la mort de George Floyd, le 25 mai à Minneapolis. Si beaucoup découvrent ces jours-ci le Comité Adama, il n’y a pas vraiment de surprise à le voir exercer un leadership dans l’élan actuel, fruit de son travail d’ancrage au sein des quartiers populaires, des liens qu’il a su tisser avec d’autres sphères militantes et de la force d’incarnation d’Assa Traoré.
A 35 ans, la grande sœur d’Adama est un pilier pour sa famille. Désignée porte-parole des siens au lendemain du drame, elle a mis sa carrière d’éducatrice spécialisée dans la protection de l’enfance en stand-by. Dans un portrait que lui consacrait liberation en septembre 2016, titre ‘’droit de savoir’’ son frère Lassana expliquait : «Depuis le décès de notre père en 1999, elle tient notre famille. Elle a très tôt eu la responsabilité de ses cadets. C’est pour cela qu’aujourd’hui elle est si forte et engagée. La mort d’Adama, c’est comme si elle avait perdu son propre fils.» Depuis, Assa Traoré a aussi dû gérer le renvoi aux assises d’un autre de ses frères, Bagui, accusé d’avoir tiré à l’arme à feu sur les gendarmes durant les trois nuits d’émeutes ayant suivi les faits.
Ces quatre dernières années, la jeune femme a beaucoup manifesté. Avec toujours ce même regard, habité et impassible, et ce ton légèrement robotique. A ceux qui lui demandent pourquoi elle ne cède jamais aux larmes, elle rétorque qu’elle entend «faire de la dignité une discipline». Très vite, d’autres figures de la lutte antiraciste ont rejoint «son combat», comme l’éducateur Almamy Kanouté, l’activiste Youcef Brakni ou la journaliste Sihame Assbague.
Ensemble, ils organisent, dès l’été 2016, des marches dans le quartier des Traoré à Beaumont-sur-Oise, souvent suivies de concerts et de barbecues où se pressent 1 000 à 2 000 personnes. Au fil des mois, le Comité Adama reçoit le soutien actif des écrivains Annie Ernaux et Edouard Louis, ainsi que du philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie. Ce dernier, qui décrypte dans ses textes les mécanismes de domination ultralibéraux et questionne l’exercice de la violence policière dans l’espace public, élargit l’horizon du Comité Adama au champ des luttes sociales et antifascistes.
En juin 2010, un rapprochement similaire mais bien plus éphémère avait eu lieu lors d’une manifestation à Pontoise. A l’époque, des jeunes de Villiers-le-Bel étaient poursuivis eux aussi pour des soupçons de tirs sur la police après la mort, le 25 novembre 2007, de Mushin et de Lakamy, dont la mini-moto avait été percutée par un véhicule des forces de l’ordre. Les luttes antiracistes et antifascistes avaient alors jeté les bases d’une convergence, matérialisée par la présence, au côté des familles de Mushin et de Lakamy, de Benjamin Rosoux, l’épicier de Tarnac proche de Julien Coupat.
Cette fois-ci, la symbiose s’articule autour de nouvelles dynamiques. Et ce d’autant plus que le mouvement des gilets jaunes a totalement décloisonné la lutte contre les violences policières. Le nombre de blessés et de mutilés en 2018 et 2019 a montré qu’il ne fallait pas nécessairement être noir ou arabe pour subir des tirs de LBD ou de grenades. Symbole de ces «nouveaux militants», Jérôme Rodrigues, éborgné en janvier 2019.
Enfin, Assa Traoré s’est rapprochée plus récemment des actrices Aïssa Maïga, Leïla Bekhti et Adèle Haenel (lire ci-contre). Omar Sy compte également parmi les soutiens constants du Comité Adama, au même titre que Mathieu Kassovitz. Des personnalités à même de générer une alliance plus large contre «l’ordre établi», au carrefour des revendications LGBT, féministes et aussi écologistes. Comme en témoigne la présence, désormais dans les cortèges, des militants radicaux d’Extinction Rebellion.