La présidente de la République mauricienne a mis un terme à un feuilleton qui commençait sérieusement à ternir sa réputation et la fonction qu’elle représentait. Mise en cause dans un scandale financier, Ameenah Gurib Fakim a été poussée à la démission par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, fils et successeur d’Anerood, qui l’avait nommée à ce poste, très honorifique, en juin 2015.
Au centre d’un scandale financier, la présidente mauricienne a officiellement quitté ses fonctions le vendredi dernier, poussée vers la sortie par le Premier ministre. Un départ qui n’est que le dernier épisode d’une série d’affaires dont l’épicentre est le sulfureux homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho. Dans un premier temps, Ameenah Gurib Fakim avait refusé de quitter ses fonctions clamant son innocence et contredisant même le chef du gouvernement qui avait annoncé son départ un peu plutôt soit le 9 mars. La situation étant devenue intenable, c’est le vendredi 23 mars, à midi, qu’elle a décidé de plier bagage et quitter la résidence du Réduit.
Dans l’intérêt supérieur du pays et pour éviter une crise institutionnelle qui fera souffrir l’économie et la population, Ameenah Gurib Fakim a rendu les armes en envoyant sa démission à la présidente de l’Assemblée nationale, Maya Hanoomanjee. La déclaration de sa démission ressemble davantage à une incantation, tant cette démission fait trembler les fondements constitutionnels d’une République mauricienne qui vient tout juste de fêter son cinquantième anniversaire. Au Parlement, on estime que c’est une illustration supplémentaire de l’essoufflement du système politique. Ce départ n’est en effet que le dernier épisode en date d’une « affaire Sobrinho » qui a défrayé la chronique depuis plusieurs années à Maurice et laisse apparaître, au fil des mois, les noms de nombreux responsables politiques et hauts fonctionnaires, sur fond de trafics d’influence et de gratifications occultes, à moins de deux ans des prochaines élections générales.
L’affaire remonte depuis août 2015, tout le monde a entendu parler d’Alvaro Sobrinho à Maurice. L’arrivée de l’homme d’affaires angolais, âgé de 55 ans, a pourtant été des plus discrètes. Attiré par les avantages de la place financière mauricienne, il cherche, à l’époque, à obtenir une licence bancaire sur l’île. Il engage des démarches dans ce sens auprès de la Bank of Mauritius (BoM) qui après une enquête de trois mois, refuse sa demande. Sobrinho a été précédé sur place par sa réputation sulfureuse, héritée de ses années passées à la tête de la Banco Espirito Santo Angola (BESA). Pendant ses dix années à la tête de la filiale de la banque portugaise, jusqu’en 2012, il aurait détourné plus de 500 millions de dollars, selon les autorités judiciaires de Lisbonne qui ont ouvert une enquête suite à la faillite de l’empire Grupo Espirito Santo (GES) en 2014.
Trois ans plus tôt déjà, il était suspecté d’avoir utilisé, à des fins personnelles, plusieurs dizaines de millions de dollars pour l’acquisition d’une vingtaine de villas au Portugal. Il est également soupçonné d’avoir acheté des juges portugais pour éviter la saisie de ces biens immobiliers par la justice. En Suisse, par contre, le parquet fédéral n’a pas hésité à demander la saisie préventive de 140 millions d’euros placés sur les comptes de différentes banques helvétiques au lendemain de la faillite de GES. Même si aujourd’hui encore, aucune preuve n’a pu être établie quant à sa culpabilité. C’est d’ailleurs l’avis du parquet de Luanda, qui n’a pas souhaité poursuivre l’ancien banquier, bien que les sommes détournées aient transité via la Banco nacional de Angola (BNA).
Il faut dire que Alvaro Sobrinho ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune poursuite dans son pays, où il semble compter de nombreux appuis, à commencer par celui d’Isabel dos Santos, fille de l’ancien président et détentrice, selon plusieurs sources, de 19 % du capital de la BESA, également connue en Angola comme « la banque du MPLA ». C’est donc en s’appuyant sur ces nombreuses procédures judiciaires en cours, sur ces zones d’ombre qui émaillent le mandat d’Alvaro Sobrinho à la BESA, que la BoM rend sa décision fin 2015.
La tentative d’implantation de l’Angolais à Maurice aurait pu s’arrêter là si, un an plus tard, la Financial Services Commission (FSC) n’avait pas octroyé la licence tant demandée. Entre temps, un amendement, passé en juillet 2016, dans le cadre de la loi des finances 2017, transfert certaines compétences de la BoM vers la FSC, concernant notamment l’attribution des licences bancaires.
Un spécialiste du dossier explique qu’Alvaro Sobrinho et ses millions sont apparus comme une aubaine aux yeux du gouvernement qui cherche à attirer les investisseurs étrangers pour relancer une croissance économique qui ronronne. Vice-Premier ministre, Ivan Collendavelloo, patron du Mouvement libérateur (ML), membre de la coalition Lepep au pouvoir, a toujours être autant sous le charme de l’Angolais. Surtout que ce dernier, dans la vaste opération séduction qu’il a lancée au lendemain du refus de la Banque centrale, a eu la bonne idée de se rapprocher d’Ameenah Gurib Fakim, nommée au Réduit grâce au soutien du ML et de son très influent chef de file.
Malgré la provenance douteuse de ses fonds, Alvaro Sobrinho a pu largement investir dans l’immobilier. Il aurait notamment acheté une trentaine de villas dans le luxueux complexe du Royal Palm, situé dans le Nord de l’île, où la moindre construction est mise en vente pour 1 million de dollars. Il a également fait l’acquisition, pour 1,2 million de dollars, de sept berlines de prestige (Range Rover et Jaguar) qu’on le soupçonne d’avoir distribuées à ses amis pour services rendus. Que du beau monde, selon la rumeur populaire relayée par les médias mauriciens : le Premier ministre ; son conseiller financier et président de la FSC jusqu’à sa démission début janvier, Dev Manraj ; Ivan Collendavello, l’actuel numéro 2 du gouvernement ; Roshi Bhadain, l’ex-ministre des services financiers qui a quitté le gouvernement après avoir créé son Reform Party début 2017 ou encore son ami et ancien consultant pour la FSC, Akilesh Deerpalsing, ont tour à tour été pointés du doigt.
Même Xavier-Luc Duval, l’actuel leader de l’opposition, à la tête du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) et ministre du Tourisme au moment des faits, a dû démentir certaines allégations. En dehors du parti travailliste, au fond du trou depuis les accusations portées en 2015 contre son leader, Navin Ramgoolam, et du Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Béranger, l’ensemble du spectre politique mauricien risquerait donc d’être éclaboussé par l’affaire Sobrinho.