Selon le dernier Africa Pulse, rapport par lequel la Banque mondiale rend compte du pouls du continent, l’Afrique va globalement moins bien même si le souffle prometteur de ces dernières années n’est pas totalement retombé.
Par Maurice Duteil
Le constat est morose. À 2,6 % en 2019, contre 2,5 % en 2018, la croissance économique de l’Afrique est atone. La performance est même inférieure de 0,2 point aux prévisions d’avril d’Africa Pulse, le rapport bi-annuel de la Banque mondiale sur l’état du continent. Selon sa dernière publication début octobre, la croissance s’accélérera tout de même en 2020 pour atteindre 3,1 %, et 3,2 % en 2021. Conséquence : même si le taux d’extrême pauvreté baisse en Afrique, le nombre de personnes dans le besoin, lui, augmente. De 278 millions en 1990, le chiffre passe à 416,4 millions en 2015, la population du continent augmentant rapidement.
En cause, cette année, la combinaison de multiples facteurs d’abord internes au continent. Les « moteurs traditionnels » du continent, censés mener la dynamique, sont en perte de vitesse. Au Nigéria, l’export du pétrole n’a pas suffi cette année à véritablement relancer la machine économique. Et l’agriculture et la production manufacturière, deux autres secteurs qui comptent dans le pays, ont manqué de dynamisme. L’élection présidentielle et le retard pris concernant la constitution du gouvernement ont renforcé les incertitudes autour du premier exportateur de pétrole d’Afrique. En Angola, c’est justement ce secteur qui peine à progresser. Après un léger rebond début 2019, la production a de nouveau chuté en juin.
En Afrique du Sud, troisième locomotive du continent, la « succession de coupures électriques », et « l’incertitude politique » ont abouti à une défiance globale des investisseurs que tente pourtant de convaincre Cyril Ramaphosa depuis sa prise de pouvoir en février 2018. La situation politique au Soudan, les ravages du cyclone Idaï au Zimbabwe et au Mozambique ainsi que le recul des exportations au Kenya ont aussi leur part dans le ralentissement de l’économie africaine.
Autre facteur préoccupant pour les économistes de la Banque mondiale : la vulnérabilité de la dette. Car « la part des pays d’Afrique subsaharienne jugés en situation de surendettement ou présentant un risque élevé a presque doublé », peut-on lire dans le rapport. Même si en 2019, le ratio médian dette publique/PIB devrait se stabiliser autour de 55 % du PIB, « des améliorations de la gestion de la dette et de la transparence de celle-ci sont nécessaires », affirme-t-on. Une préconisation partagée par William Gumede, économiste et président de l’organisation sud-africaine Democracy Work Foundation. « La dette est devenue un des problèmes majeurs des économies d’Afrique, affirme-t-il. Après les années 1990, et surtout après la crise financière de 2008, de nombreux pays africains ont fait appel à la Chine. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux ont du mal à rembourser. C’est très inquiétant pour l’avenir. »
Pour contrer le poids de la dette, les pays africains n’ont pas le choix. Ils doivent engager des réformes d’envergure. Pour les analystes, celles-ci restent pourtant insuffisantes, et « manquent de vigueur ». « Les gouvernements doivent prendre à bras-le-corps la question des réformes structurelles. Entre le chantier de la diversification économique, celui des infrastructures et des produits manufacturés, il y a du travail », confirment William Gumede. Le plus grand scepticisme concerne les pays où des élections générales auront bientôt lieu – en Algérie par exemple – et où, c’est presque une certitude, la mise en œuvre de réformes structurelles sera plus lente que prévu. Conséquence : des échanges commerciaux moins denses et une diversification économique à l’arrêt dont pourrait pâtir le secteur privé.
Malgré un constat quelque peu amer sur les grandes économies d’Afrique, la situation est loin d’être aussi inquiétante pour certains pays. Car ailleurs sur le continent, « la croissance devrait rester robuste ». Les États d’Afrique centrale devraient par exemple profiter d’une embellie, boostés par la hausse de production de pétrole. Au Cameroun, la plus importante économie de la Cemac, c’est le secteur des services qui dynamise la croissance du PIB. « La région des Lacs » peut aussi tirer son épingle du jeu, souligne Gilles Dufrénot, chercheur au Cepii et professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille. « Le Rwanda, en particulier, possède une économie en pointe et la confiance des investisseurs. Mais sa taille modeste et le contexte géopolitique de la région ne lui permettront pas d’incarner une force d’entraînement pour le continent », nuance-t-il.
En Côte d’Ivoire et au Ghana, où le gouvernement fait des efforts pour « épurer son secteur financier », la situation est encourageante. Les taux de croissance des deux pays, à plus de 7 %, sont parmi les plus fortes d’Afrique. « Le problème, c’est que cette croissance n’est pas suffisamment pourvoyeuses d’emplois », explique l’économiste. « La situation est la même en Éthiopie », bien que, là aussi, le gouvernement ait pris des mesures pour ouvrir son secteur financier, avec l’émission de la toute première licence à une banque étrangère, l’Equity Bank of Kenya.
Pour sortir de la morosité économique dans laquelle le continent semble s’installer, les analystes d’Africa Pulse propose quelques solutions. Et en premier lieu celle de l’autonomisation des femmes. Car, rappelons-le, « l’Afrique subsaharienne est la seule région du monde pouvant se targuer d’avoir plus de femmes au profil entrepreneurial que d’hommes ». Mais « les écarts de salaire importants et persistants entre les sexes étouffent cette singularité ». Et tuent dans l’œuf une ressource de poids potentielle. Pour la Banque mondiale, « les décideurs politiques doivent s’attaquer aux contraintes disproportionnées subies par les femmes ». Gilles Dufrénot abonde : « l’autonomisation des africaines est un point d’entrée de la croissance inclusive », tant recherchée par les autorités. « On ne peut pas développer un continent en évinçant la moitié de sa population, assure William Gumede. Le capital humain, voilà une des solutions que le continent a à portée de main, mais qu’il n’utilise pas. »
À revoir également pour certains, « la gouvernance », répond Gilles Dufrénot. « En Égypte, après l’élection d’Abdel Fattah al-Sissi, il y a eu de l’espoir, cite-t-il en exemple. Le dirigisme à la chinoise prôné les autorités pouvait plaire aux investisseurs. Mais le temps nous a montré que cette façon de gouverner casse aussi l’adhésion de la population au dynamisme économique du pays. » La corruption, le chômage et des situations sécuritaires fragiles sont aussi des maux sur lesquels les gouvernements devront se pencher. « Les zones de conflits empêchent les ressources de créer de la richesse », soutient le professeur.