Electrification, essor démographique, réserves de minerais stratégiques : le continent est au cœur des enjeux de la riposte contre le changement climatique.
Par Maurice Duteil
L’Afrique subsaharienne consomme à peine plus d’électricité que l’Espagne. C’est pourtant sur le continent que se joue une importante bataille contre le dérèglement climatique. A quelques semaines de la 25e conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP25), l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie, vendredi 8 novembre, un rapport que les négociateurs africains auraient tort de ne pas mettre dans leurs valises avant de s’acheminer vers Madrid. Ils y trouveront de solides arguments pour faire entendre leurs voix à côté des pays gros émetteurs de gaz à effet de serre. « La façon dont l’Afrique parviendra à satisfaire ses besoins énergétiques est cruciale pour l’avenir du continent, et du monde », posent d’emblée les auteurs de cette deuxième édition des Perspectives économiques de l’Afrique, une somme de près de 300 pages.
Cette affirmation s’appuie d’abord sur une réalité démographique : une naissance sur deux dans le monde se produit en Afrique et, d’ici à 2025, la population du continent dépassera celle de la Chine et de l’Inde, avec une urbanisation qui progresse à un rythme sans équivalent. Cet essor démographique alimente une demande en énergie pour l’électricité, les transports, l’industrie… qui est déjà « deux fois plus rapide » que dans les autres régions du monde en développement. La moitié de la population africaine reste encore sans accès à l’électricité et près des deux tiers dépendent du charbon de bois pour cuisiner, au détriment des forêts et de la biodiversité qu’elles abritent.
Des progrès ont cependant été réalisés : 20 millions de personnes supplémentaires ont accès à l’énergie chaque année. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Mais cela reste très insuffisant pour sortir l’Afrique de l’obscurité d’ici à 2030, l’un des objectifs du développement durable (ODD). Pour l’atteindre, il faudrait aller trois fois plus vite.
Le rapport montre en outre que les progrès sont concentrés sur une poignée de pays : la moitié des nouveaux foyers raccordés en 2018 vivent au Kenya, en Tanzanie et en Ethiopie. En cinq ans, le Kenya a multiplié par trois son taux d’accès à l’électricité grâce à un vaste programme de raccordement au réseau et de développement de systèmes décentralisés (off grid), l’importation massive et détaxée de panneaux solaires et l’utilisation de paiement au moyen du téléphone mobile.
Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE voit dans cette situation une raison de se montrer optimiste : « L’avenir reste ouvert. L’Afrique est l’une des régions du monde qui a la possibilité de s’engager vers un développement moins carboné en profitant de ses abondantes ressources en énergies renouvelables. » En s’appuyant sur la feuille de route de l’Agenda 2063 adopté par l’Union africaine pour sortir le continent de la pauvreté, le rapport dessine un scénario permettant de multiplier par quatre la taille de l’économie africaine au cours des vingt prochaines années en découplant fortement la consommation d’énergie qui, jusqu’à présent, a toujours accompagné les phases de décollage économique. Selon M. Birol, la chute des prix des technologies solaires a fait sauter l’obstacle économique qui justifiait de privilégier les énergies fossiles les plus polluantes. En dehors des deux grandes centrales solaires de Noor au Maroc et de Benban en Egypte, le déploiement de cette énergie nouvelle reste toutefois encore très lent.
En 2018, sur les 100 milliards de dollars (90,54 milliards d’euros) d’investissements réalisés dans le secteur énergétique, 70 % étaient dirigés vers les énergies fossiles. La majorité de ces investissements sont réalisés par des entreprises multinationales pour satisfaire la demande internationale et non locale. Les récentes découvertes de gisements gaziers au Mozambique, en Tanzanie, au Sénégal et en Mauritanie pourraient redessiner ce paysage, à condition que ces pays parviennent à déployer les infrastructures nécessaires. Ce qui, reconnaît le rapport, »demeure incertain ».
Dans vingt ans, et à condition que l’augmentation moyenne des températures mondiales soit contenue en dessous des 2 °C inscrit dans l’Accord de Paris sur le climat, un milliard d’Africains vivront dans des villes où la climatisation sera nécessaire pour supporter les vagues de chaleur.
Dans vingt ans également, pour satisfaire les besoins de déplacement, le parc automobile actuel (hors Afrique du Sud), plus petit que celui de l’Australie, devrait avoir doublé, souligne les auteurs du rapport en mettant en avant, à travers ces exemples, les enjeux très concrets des choix énergétiques qui seront faits sur le continent.
Il est, pour l’AIE, une autre raison pour laquelle l’Afrique constitue l’une des clés de la riposte contre le changement climatique : son sous-sol renferme les plus grandes réserves de minerais nécessaires à la fabrication des nouvelles technologies énergétiques. La République démocratique du Congo (RDC) est à l’origine de 70 % de la production mondiale de cobalt utilisé dans les batteries ; l’Afrique du Sud, de 70 % du platine nécessaire à la fabrication des piles à combustibles à hydrogène. Il faudrait aussi compter avec le chrome pour les turbines des éoliennes et le manganèse pour les batteries. Bien gérées, ces ressources naturelles peuvent procurer à ces pays d’importants revenus. Mais, avertissent les auteurs du rapport, »il existe d’importantes interrogations sur la capacité de ces pays à suivre une demande croissante. Les pratiques actuelles [dans le secteur extractif] sont souvent inefficaces, polluantes et soulèvent des protestations sociales. L’échec des pays africains à être au rendez-vous ne serait pas seulement un revers pour eux. Ce serait un problème pour conduire au bon rythme la transition énergétique mondiale ».